mercredi 27 janvier 2010

Recherche fondamentale (2)

Aujourd'hui la recherche fondamentale est souvent opposée à la recherche appliquée, un peu comme si la recherche appliquée était celle qui produit quelque chose d'utile, de productif, qui fait fonctionner le monde économique,… et que la recherche fondamentale ne servait à rien, n'était finalement qu'un exercice intellectuel couteux et finalement assez suspect. Il est d'ailleurs frappant que de nombreux scientifiques, lorsqu'on leur demande à quoi sert leur recherche, répondent souvent avec aplomb: "à rien !".  La pression sociale a donc fini par faire culpabiliser le chercheur au point qu'il avoue être inutile.

La tendance actuel du monde politique est d'encourager la recherche appliquée, de favoriser les transferts de technologies vers le monde industriel et on à même l'impression que s'il le pouvait le politique réduirait la recherche fondamentale au minimum. S'il ne le fait pas c'est qu'il y a un tabou qui impose  qu'on ne détruise pas la recherche, tout comme on ne détruit pas l'art. Les autodafés ont toujours été très mal vus !

Cette tendance est extrêmement dangereuse, le politique a un horizon qui ne dépasse guère un mandat électoral alors que la recherche fondamentale n'a pas d'échéance. Songez qu'il a fallut 23 siècles pour que la notion d'atome imaginée par Démocrite, aboutisse finalement à l'énergie des centrales nucléaires ou à l'utilisation de radioéléments en médecine nucléaire. 23 siècles de cogitations, d'expériences, de théories, de remises en cause, et même d'oubli pendant de longues périodes… Non seulement la recherche fondamentale d'aujourd'hui est la base de la technologie de demain, mais c'est aussi l'expression d'une humanité qui a besoin de comprendre l'Univers dans lequel elle vit.

Il est indispensable que la recherche fondamentale trouve toute sa place dans la société, qu'on lui laisse le temps, qu'on intègre la capacité pour le chercheur de se tromper, de suivre cent fausses routes pour finalement n'en trouver qu'une, qui conduira à un bouleversement de notre conception du monde.

À la vue de l'histoire récente, imaginons ne serait ce qu'un instant, ce que seront nos connaissances dans 50, 100, 1000 ans si la société a la sagesse de ne pas brider l'imagination des scientifiques. Ou bien au contraire, imaginons un monde dicté uniquement par le profit à court terme, où plus aucune idée novatrice ne pourrait être creusée "juste pour voir". Ne serait-ce pas là un véritable risque de décadence pour notre société ?

Il est du devoir du politique d'accepter le fait qu'il ne doit pas chercher à contrôler la recherche, qu'il ne doit en aucun cas se mêler de politique scientifique, mais qu'il doit au contraire favoriser le bouillonnement d'idées et accepter de prendre des risques en donnant des moyens afin que quelques idées folles aboutissent parfois à une avancée scientifique majeure.

Les scientifiques qui passent souvent à tord pour des êtres individualistes et fantaisistes ont la capacité de s'organiser sans la main mise du pouvoir. Les grandes collaborations internationales en physique des particules ou en astrophysique en sont des exemples. L'Europe scientifique existait au CERN bien longtemps avant l'Europe politique. Dans les années 80 le Franc suisse y était même une monnaie internationale avant l'heure puisque c'était lui qui servait de référence pour financer les expériences. Dans les mêmes années, la guerre froide était également déjà abolie, puisque Russes, Américains, Chinois, Européens... travaillaient ensembles sur des projets défiant l'imagination. Croyez-moi, il faut voir se construire une grande expérience pour comprendre à quel point des scientifiques motivés peuvent trouver les moyens de s'organiser sans autre hiérarchie que celle de la compétence.

Mesdames et Messieurs les politiques, laissez nous chercher !

5 commentaires:

  1. je veux bien aider à la fabrication des banderoles!! ou caillasser la fenêtre à sarko and cie

    RépondreSupprimer
  2. héhéhé, je doute que cela serve à quelque chose, il faut de l'action choc mais qui soit symbolique. l'AERES peut etre une bonne cible, combien est ce que ca coute d'évaluer les chercheurs encore et encore ? Le système à l'americaine (hypercapitalistique) peut avoir de bons cotés : si tu es bon, tu as tes grants, si tu ne l'es pas tu perds ton poste mais il y a ici assez d'argent mis en jeu pour survivre et meme vivre. Le mérite est vraiment récompensé ici par rapport aux decision politique qui sont faites par l'ANR en France. Ici, ils ont au moins le mérite que ce soit des chercheurs et non des politiques qui donnent les grant.

    RépondreSupprimer
  3. @Quinou: A chacun son mode d'action, mais je pense que c'est tout un travail en profondeur afin de changer les mentalités qu'il faut privilégier. C'est sur la perception même de la recherche par le public qu'il faut agir.

    @Sylvain: A propos de l'AERES, je te conseille de lire la lettre du nouveau Président du CNRS, Alain Fuchs à l'AERES suite à l'évaluation des laboratoires de l'ENSCP qu'il dirigeait alors: http://www.aeres-evaluation.fr/IMG/pdf/AER_ENSCP_007.pdf
    (voir la fin). C'est savoureux...

    Cette lettre a été pointée par un lecteur du blog Science2 de Libé.

    RépondreSupprimer
  4. Ha oui, je me suis délecté de cette lettre ! (elle va dans mon sens donc je ne pouvais qu'apprecier :-)

    RépondreSupprimer