dimanche 22 janvier 2012

Les coulisses des grandes expériences de physique des particules (2)


Cet article est le deuxième d'une série commencée ici.

Les physicien(ne)s ne manquent pas d'idées, il y a dans les esprits tout un tas de projets plus ou moins embryonnaires, plus ou moins farfelus, afin de mesurer telle ou telle grandeur qui pourrait confirmer ou infirmer telle ou telle théorie.

Le déclic vient souvent d'une idée brillante. Dans le cas des collaborations BaBar au SLAC (USA) et Belle au KEK (Japon), l'idée de génie, proposée par Pier Oddone a été d'imaginer un collisionneur possédant deux faisceaux d'énergies différentes. Cette asymétrie permettait de donner une impulsion aux particules créées lors des collisions ce qui permit de mettre évidence et de mesurer  le phénomène de violation de la symétrie CP dans le secteur des quarks beaux (ou quarks b). De même, la découverte des bosons électrofaibles W et Z n'a été possible que suite à l'idée de CarloRubbia de transformer l'accélérateur SPS du CERN en collisionneur proton--anti-proton, transformation possible uniquement grâce à une autre idée géniale signée Simon van der Meer  qui permettait de créer des faisceaux intenses d'anti-protons. Le vrai génie n'est d'ailleurs souvent pas l'idée elle-même, mais la capacité de la personne qui l'a eu, de la développer jusqu'au bout et d'arriver à la concrétiser.
Un physicien travaille à l'intérieur du détecteur BaBar au SLAC


Lorsque la construction d'une machine est décidée et que les financements sont à peu près acquis il convient de former des collaborations qui vont proposer des détecteurs et un programme précis de physique. Les proto-collaborations sont souvent issues d'un groupe de personnes se connaissant et travaillant depuis longtemps sur une thématique donnée. Elles vont s'enrichir peu à peu de nouveaux collaborateurs jusqu'à devenir viables. S'ensuit une phase passionnante de réflexion, de bouillonnement d'idées afin d'imaginer le meilleur détecteur possible qui soit adapté aux contraintes de l'accélérateur. Cette première phase est menée sans trop s'inquiéter des contraintes budgétaires. On dessine, on réalise des simulations plus ou moins sophistiquées pour vérifier l'intérêt de tel ou tel choix, on discute beaucoup, on s'empaille parfois… et on aboutit à une première ébauche du détecteur idéal avec souvent plusieurs options pour chaque élément. Arrive alors le moment de chiffrer le coût de l'ensemble et de comparer au budget alloué. Généralement le premier jet est trop cher par un bon facteur 2 ou 3. Il faut alors faire des compromis, estimer la dégradation des performances si l'on fait plus petit, moins précis, moins segmenté... moins bien…

À l'issue de cette phase, on a un (ou plusieurs) détecteurs acceptables budgétairement mais possédant encore pas mal d'options, toutes âprement défendues par leurs concepteurs. Dans le cas où plusieurs détecteurs doivent être construits (comme au LHC par exemple), on incite parfois deux ou trois collaborations à se réunir et à proposer un projet commun. Ce sont souvent des périodes difficiles, chaque collaboration tentant de faire valoir l'intérêt de sa propre approche, les choix sont difficiles et les déceptions sont nombreuses.

Parfois on voit émerger des idées assez étonnantes, par exemple lors des réflexions sur les détecteurs LHC, Carlo Rubbia avait proposé de réaliser une énorme boule de fer entourée de plans de détection de particules chargées. L'idée était d'absorber toutes les particules produites dans les collisions et de ne détecter que les muons, seuls capables de traverser la boule de fer. En recherchant des topologies avec quatre muons il aurait été possible d'identifier certaines désintégrations du boson de Higgs.

Il arrive que certains éléments des détecteurs soient très performants sur le papier mais que l'on ne sache pas les fabriquer… Ce fut notamment le cas pour le LHC ou au moment où les collaborations se sont formées, on ne savait pas fabriquer d'électronique suffisamment rapide pour suivre le taux de croisement des faisceaux (25 ns entre les paquets de protons). Il faut alors lancer tout un programme de recherches et développements (R&D en abrégé) afin de réaliser les percées technologiques qui permettront de fabriquer les éléments en question. C'est à ce moment qu'ont lieu des transferts de technologie  de la recherche vers l'industrie et vice versa. Par exemple à la fin des années 90, l'électronique des expériences sur le LHC a grandement bénéficié des développements autour des circuits de télévision haute définition. Inversement l'industrie des matériaux composites a profité de R&D effectuées au moment du LEP et on pourrait citer bien d'autres  exemples de ce genre.

Chaque étape est documentée dans des rapports : les participants aux proto-collaborations signent une expression d'intérêt (EOI), c'est la phase où la future collaboration compte ses forces. Les premières idées sur le design des expériences figurent dans une lettre d'intention (LOI) document de deux à trois cents pages contenant déjà une description relativement détaillée des différents éléments et des options. 
L'un des TDR de l'expérience ATLAS
La dernière phase est formalisée dans un ou plusieurs rapports techniques ou Technical Design Reports (TDR), il s'agit là d'une description très détaillée de l'ensemble du détecteur, de l'électronique, du système d'acquisition, de l'informatique de traitement des données, etc. Ces TDR peuvent facilement compter un millier de pages. En parallèle la collaboration écrit aussi un document très complet sur l'ensemble de la physique accessible au détecteur. Chaque sujet de physique est étudié en détail et les performances du détecteur et des techniques d'analyse sont minutieusement évaluées afin d'estimer la sensibilité du détecteur à tel ou tel canal de physique. Ici encore on parle de documents de plusieurs centaines, voire d'un millier de pages. La rédaction et le contrôle de la qualité de tous ces documents nécessitent une organisation sans faille de la collaboration afin de faire travailler en cohérence des centaines de physiciens et d'ingénieurs.

Toutes les étapes sont évaluées par des comités de revue internationaux dont les membres sont sélectionnés pour leurs connaissances et leur sens critique. Les agences de financement s'appuient sur les rapports pour débloquer les fonds et une mauvaise évaluation lors d'une revue entraine souvent une révision complète des projets et des équipes.

Avant de se lancer dans la construction proprement dite, l'ensemble du projet est segmenté dans des milliers de tâches individuelles qui doivent s'articuler les unes par rapport aux autres. On appelle cela en anglais : un WBS pour « Work Breakdown Structure ». Le WBS permet aussi d'estimer le temps nécessaire à la réalisation des tâches et d'identifier des chemins critiques, c’est-à-dire des ensembles de tâches dont la réalisation va avoir un impact global sur le temps de construction du détecteur. Inutile de dire que les chemins critiques sont scrutés et surveillés comme le lait sur le feu, puisque tout retard sur un élément entrainera un retard global pour la collaboration.

Avec le WBS, chaque laboratoire ou institut participant prend en charge un ensemble de tâches de construction en fonction de ses compétences, de ses centres d'intérêt et des financement qu'il apporte. Il faudra alors que tout soit parfaitement coordonné pour que les milliers d'éléments s'assemblent pour former le détecteur final.

À suivre...

dimanche 1 janvier 2012

IC434 - Le Cheval de Noël

Un an jour pour jour après l'avoir déjà photographiée, j'ai de nouveau pointé ma lunette astronomique vers la constellation d'Orion et plus précisément sur la nébuleuse de la Tête de Cheval (IC434). Une nouvelle caméra dotée d'un capteur plus grand m'a permis de faire rentrer aussi la nébuleuse de la Flamme (NGC2024) dans le champ de l'image.



L'image de cette année a été réalisée sur deux nuits. La première a permis d'accumuler 32 poses individuelles de 4 minutes avec un filtre sélectionnant la raie H-alpha, caractéristique de l'hydrogène des nébuleuses par émission. Le filtre H-alpha permet de capter des variations ténues de luminosité qui seraient imperceptibles en lumière blanche. La deuxième nuit a été consacrée à l'acquisition de trois séries d'images avec des filtres rouge, vert et bleu qui permettent de reconstituer les couleurs de la nébuleuse. La photographie ci-dessus résulte de la combinaison des différentes séries d'images, représentant au total près de 6h30 de poses.

La grosse étoile entourée d'un halo bleu est nommée Alnitak, c'est-elle qui irradie intensément le gaz environnant et donne naissance à cette magnifique nébuleuse. Les cercles  concentriques autour d'Alnitak sont des artéfacts liés à la constitution du filtre H-alpha et à la saturation du capteur CCD de la caméra.