samedi 14 juin 2014

Un oeil de libellule pour observer les galaxies

Les modèles cosmologiques actuels basés sur l'existence d'une fraction importante de matière noire froide permettent de décrire la formation des grandes galaxies par interactions et accrétions successives de petites galaxies. On s'attend donc à trouver un nombre relativement important de galaxies naines à proximité des grandes galaxies et à observer des sous-structures dans les halos, réminiscence des fusions passées. Or, si on observe bien quelques traces de ces "graines" de galaxies à proximité de notre Voie Lactée ou de sa voisine M31, celles-ci sont sont bien moins nombreuses que ce que prédisent les modèles. Le problème est donc de déterminer si ce déficit correspond à une mise en défaut des modèles théoriques ou si le signal recherché est simplement trop ténu pour être détecté avec des moyens conventionnel.

L'instrument Dragonfly avec ses huit objectifs Canon
installés sur une monture Paramount ME-II
 http://dunlap.utoronto.ca/instrumentation/dragonfly/
Dans le domaine de l'astronomie, quand on recherche un signal tellement faible qu'il n'a pu être détecté par les télescopes les plus puissants, la réponse expérimentale consiste souvent à imaginer un instrument, plus grand, plus sophistiqué et ... plus cher ! Dans le cas qui nous occupe, la démarche de Roberto Abraham de l'Université de Toronto a été complètement différente ; son idée fut de créer un appareillage extrêmement sensible à partir de matériel du commerce. C'est ainsi qu'est né le projet Dragonfly, la "libellule". Ici, pas de télescope, mais un ensemble de huit objectifs photographiques Canon 400 mm f/2.8 L IS II USM, qui sont certes de belles bêtes (11 500$ pièce) mais disponibles sur le net ! Les huit objectifs sont équipés de caméras CCD STF-8300M de la marque SBIG dont certains astronomes amateurs sont équipés. L'ensemble est monté sur une monture allemande Paramount ME-II disponible également dans le commerce.

Les huit objectifs et caméras pointent vers la même direction dans le ciel et prennent des images simultanément qui seront ensuite combinées afin de produire une image unique équivalente à ce que photographierait un instrument optique de 400 mm de focale et ouvert à f/1.0. Ce montage permet de collecter un maximum de lumière en un minimum de temps. La qualité optique des objectifs permet d'atteindre un niveau de sensibilité inégalé sur les objets les plus faibles, avec très peu de reflets parasites et tout en offrant un champ important de 2.6 x 1.9 degrés.

Entre mai et juin 2013, Dragonfly a accumulé 35h de poses sur une région centrée sur la galaxie M101 et a pu mettre en évidence sept galaxies ayant une très faible luminosité surfacique qui n'avaient jamais été repérées jusqu'à présent. Bien qu'en l'absence de mesures de distance il soit impossible d'avoir la certitude que ces galaxies naines sont liés gravitationnellement à M101, les auteurs pensent qu'il y a une forte probabilité que cela soit le cas. Par contre les mêmes images n'ont permis de détecter aucune sous-structures évidentes dans M101 elle-même.
Les sept galaxies à très faibles luminosités surfaciques observées par Dragonfly - A. Merritt et al.
arXiv:1406.2315v1
M101 est le premier objet photographié avec Dragonfly, d'autres pointés permettront de rechercher des sous-structures ténues et des galaxies naines dans et à proximité d'autres galaxies, permettant ainsi de confronter les modèles de formation des grandes galaxies aux observations. À noter que les performances de Dragonfly peuvent encore être améliorées en ajoutant de nouveaux ensembles objectifs + caméras aux huit déjà existants.

Il reste certainement énormément de galaxies naines à découvrir dans la banlieue de  nos grandes voisines, je me demande si certaines d'entre-elles seraient à la portée d'astronomes amateurs bien équipés ???

Références :