dimanche 5 février 2012

À la quête des ondes gravitationnelles


La théorie de la relativité générale  prédit que sous certaines conditions, une masse fortement accélérée peut produire des ondes gravitationnelles ; celles-ci se manifestent par une perturbation de l'espace-temps qui se propage à la vitesse de la lumière. L'origine de ces ondes est directement reliée à la masse, tout comme l'origine des ondes électromagnétiques est liée à la charge électrique ou magnétique.  Contrairement à la charge électrique qui existe sous deux formes : positive et négative ; la masse - autant qu'on le sache - n'existe que sous une seule forme (il n'existe a priori pas de masse négative). Ce fait a des conséquences sur la nature des ondes gravitationnelles - on dit qu'elles sont quadripolaires - et sur les phénomènes qui peuvent les engendrer, qui doivent être asymétriques.

Jusqu'à présent les ondes gravitationnelles n'ont jamais été détectées directement, par contre l'observation du pulsar binaire PSR B1913+16 a permis de mesurer précisément et de suivre l'évolution de la période de rotation des deux composantes autour de leur centre de masse. La mécanique classique est incapable de rendre compte du raccourcissement de cette période de rotation au cours du temps, par contre l'application des équations de la relativité générale permet de parfaitement expliquer les mesures par une dissipation de l'énergie du système sous forme d'ondes gravitationnelles. Cette observation a valu le prix Nobel de physique 1993  à Russel Alan Hulse et à JosephHooton Taylor Jr.

La propagation d'une onde gravitationnelle s'accompagne d'une déformation de l'espace.  Il n'y a aucune déformation dans le sens de propagation de l'onde, par contre dans le plan perpendiculaire au sens de propagation de l'onde, l'espace se contracte dans une direction et se dilate dans la direction orthogonale. L'amplitude de la déformation est minuscule et extrêmement difficile à détecter.

Toute masse accélérée de manière asymétrique émet des ondes gravitationnelle, dans la pratique, les effets ne deviennent notables que pour de très grandes masses soumises à de très fortes accélérations. Les bons candidats pour une émission massive d'ondes gravitationnelles sont des phénomènes cosmiques cataclysmiques tels que l'effondrement asymétrique d'une étoile ou la coalescence de systèmes binaires (étoiles à neutrons ou trous noirs). On suppose également qu'il existe dans l'Univers un fond d'ondes gravitationnelles dites primordiales issu de la période d'inflation qui a suivi le big-bang. Il s'agit en quelque sorte de l'équivalent gravitationnel  du rayonnement de fond cosmologique à 2.7 Kelvin qui lui est de nature électromagnétique.

La détection directe des ondes gravitationnelles constituerait une confirmation éclatante du pouvoir prédictif de la théorie de la relativité générale (bien que la mesure de la période de rotation du pulsar binaire PSR B1913+16 démontre déjà très probablement leur existence). Malheureusement cette détection est extrêmement difficile, elle consiste à mettre en évidence la variation infime de la géométrie d'un objet sous l'effet du passage d'une onde gravitationnelle. Si elle possède une géométrie adéquate, une masse test traversée par une onde gravitationnelle va vibrer en se contractant dans une direction et en se dilatant dans la direction orthogonale, la variation relative de longueur est directement reliée à l'amplitude de l'onde. On parle ici de variations relatives de longueur inférieures à 10-22 - 10-23, c’est-à-dire qu'une barre d'un mètre correctement placée, va voir sa longueur se modifier de 10-23 m, soit bien moins que la dimension d'un atome !

Deux types de détecteur ont été imaginés :
  • Les barres ou les sphères vibrantes ; il s'agit de masse réalisée dans des matériaux très purs et refroidies à des températures cryogéniques pour limiter l'agitation thermique des atomes. Sous l'effet du passage d'une onde gravitationnelle, la masse vibre un peu à la manière d'une corde de guitare excitée par le passage d'une onde sonore. Tout comme la corde de guitare, ces détecteurs sont accordés sur une fréquence bien précise et seront insensibles au passage d'une onde gravitationnelle de fréquence différente.  Pour mesurer la variation de longueur de la barre on utilise un système capacitif (basé sur un condensateur) ou bien optique, basé sur une cavité résonante de type Fabry-Perot. Voir par exemple la page web de la barre vibrante AURIGA
  • Les dispositifs interférométriques ; il s'agit d'interféromètres de Michelson c’est-à-dire de dispositif dans lesquels on injecte un faisceau laser qui se sépare dans deux bras disposés à 90 degrés l'un par rapport à l'autre. Des miroirs placés au bout des bras renvoient les deux faisceaux afin de les faire interférer. Le passage d'une onde gravitationnelle faisant varier la géométrie de l'interféromètre modifie la figure d'interférence observée. Afin d'être sensible à de très faibles amplitudes d'ondes gravitationnelles, il faut porter la longueur des bras à plusieurs kilomètres et recycler la lumière de façon à obtenir de grandes puissances lumineuses. L'avantage des interféromètres est d'être sensible à tout un domaine de fréquences. Le défi technologique est immense, car afin d'atteindre la sensibilité nécessaire, il faut réduire au minimum toutes les sources de bruit de fond (bruit thermique, bruit sismique, variation infime de la puissance du laser, variation statistique du nombre de photons interférant, etc.) qui auraient tendance à masquer l'effet recherché.
Vue aérienne de l'interféromètre VIRGO à Cascina près de Pise en Italie
Un réseau d'interféromètres géants s'est maintenant constitué avec notamment le projet européen VIRGO en Italie et le projet américain LIGO composé de trois interféromètres. Après des années de réglage les sensibilités théoriques des appareillages ont été atteintes (ce qui constitue un tour de force), mais aucun signal d'onde gravitationnelle n'a été détecté pour le moment. Les deux projets ont maintenant entamé un programme ambitieux d'améliorations afin de multiplier leur sensibilité par un facteur 10, permettant d'avoir accès à des sources 10 fois plus lointaines. Si elles existent, et peu de physiciens en doutent, les premières ondes gravitationnelles devraient être détectées entre 2015 et 2020, lorsque ces interféromètres améliorés et correctement réglés seront en fonctionnement. Une nouvelle ère expérimentale s'ouvrira alors avec une astronomie observationnelle basée sur la détection des ondes gravitationnelles.

Il existe des projets de détecteurs encore plus sensibles, c'est le cas par exemple du Télescope Einstein (ET en anglais !) qui sera 10 fois plus sensible que VIRGO et LIGO dans leur configuration finale. Il s'agira d'un interféromètre souterrain pour s'isoler des bruits sismiques et ainsi être sensibles à des fréquences plus basses qu'un détecteur en surface. Il  possèdera des bras de 10 km de long, et ses miroirs seront refroidis à une température cryogénique.

Le concept d'interféromètre spatial LISA
Une autre voie est suivie avec le projet LISA en plaçant cette fois l'interféromètre dans l'espace et en portant la taille des bras à cinq millions de kilomètres. Ce projet qui semble relever de la science-fiction est pourtant bien avancé et un démonstrateur nommé LISA Pathfinder doit être envoyé dans l'espace  en 2013. Il s'agira de vérifier qu'il est possible de placer les miroirs en chute libre et de maintenir l'appareillage autour sans contact physique. En d'autres termes, on doit être capable de placer un miroir isolé en orbite et faire en sorte que le satellite se maintienne autour du miroir en asservissant sa position à l'aide de micro-moteurs. LISA est la seule voie possible pour atteindre les très basses fréquences de l'ordre du milihertz. Si les difficultés technologiques sont résolues LISA détectera à coup sûr toute sorte d'ondes gravitationnelles, le challenge consistera  alors à comprendre d'où elles proviennent.

LISA et Einstein devraient voir le jour dans les années 2020 et ouvrir la voie à des avancées physiques passionnantes.


Référence complémentaire :
http://www.cnrs.fr/publications/imagesdelaphysique/couv-PDF/IdP2010/03_Virgo_Laser.pdf