samedi 17 décembre 2011

Crouching physicists, hidden Higgs !


Oui le Higgs se cache, il se cache même bien le bougre ! Après deux ans de traque avec les expériences installées sur le collisionneur LHC au CERN, il n'y a toujours pas aujourd'hui de certitude quand à son existence.

Le 13 décembre avait lieu au CERN un séminaire spécial pour faire le point sur l'état d'avancement de la recherche du Higgs par les collaborations ATLAS et CMS. Inutile de dire que l'attente était grande. L'amphi du CERN était comble et le séminaire diffusée mondialement sur Internet a sans doute été suivi par des milliers de personnes malgré son caractère très technique.

Fabiola Gianotti, la porte parole de la collaboration ATLAS a commencé par saluer la superbe performance de l'équipe en charge du fonctionnement de l'accélérateur, et en effet, les prédictions les plus optimistes ont été dépassées puisque 5.25 inverse femtobarn ont été collectés par le détecteur ATLAS. L'unité est inhabituelle pour des non physiciens, cela représente des milliards d'interactions. Au-delà de chiffres énormes, on comprendra la performance du LHC en sachant que le nombre de collisions enregistrées en deux ans dans lesquelles une paire de quarks top est produite, représente déjà 10 fois la statistique accumulée durant 17 ans par le Tevatron, l'accélérateur le plus puissant au monde avant la mise en service du LHC et qui avait découvert le quark top en 1994.

Ensuite Fabiola Gianotti a montré l'accord quasi parfait entre les nombreuses mesures réalisées par ATLAS et les prédictions du modèle standard de la physique des particules. En effet, dès leur mise en service les expériences sur le LHC se sont attachées à remesurer les paramètres du modèle standard afin de vérifier que détecteurs et procédures d'analyse étaient bien compris. Certaines mesures sont déjà tellement précises que les physiciens théoriciens doivent reprendre leur copie afin d'affiner les prédictions et ainsi de traquer la moindre déviation expérimentale qui pourrait révéler l'existence d'une nouvelle physique.

Bien qu'encore hypothétique, le Higgs dit standard, a des propriétés bien connues, seule sa masse ne peut être prédite par la théorie. On connait notamment ses modes de désintégration et son taux de production dans les collisions proton - proton du LHC. En fonction de sa masse certains modes de désintégrations sont privilégiés. Par exemple à basse masse - en dessous de 130 GeV - le canal privilégié est le Higgs se désintégrant en deux photons. Un peu plus massif, et il faudra  se tourner vers des modes produisant des leptons (électrons, ou muons) accompagnés ou non de neutrinos, ou encore des modes avec des quarks se matérialisant sous la forme de "jets" de particules. Tout ces modes de désintégration coexistent dans des proportions diverses et sont dilués dans un bruit de fond que le physicien analyste s'attache à réduire au minimum.

En fonction du nombre de collisions enregistrées et de la masse du Higgs on peut calculer la sensibilité des expériences à la présence d'un Higgs. Les physiciens cherchent donc à mettre en évidence des déviations par rapport à une hypothèse sans Higgs dans les zones de sensibilité maximale. On peut ainsi exclure des domaines de masse avec un certain niveau de confiance quantifiable, ou bien au contraire observer des déviations plus ou moins significatives.

En novembre 2011, l'analyse combinée des données des expériences ATLAS et CMS était résumée sur la figure suivante :
Extrait de la présentation de Fabiola Gianotti au CERN le 13/12/2011

 La zone de sensibilité se trouve en dessous de la ligne rouge. La ligne pointillée correspond à la prédiction du modèle standard en l'absence de Higgs. Les bandes verte et jaune indiquent de combien une mesure peut statistiquement s'écarter de la prédiction, tout en restant compatible avec l'hypothèse de l'absence de Higgs. Cet écart se mesure en nombre de "sigma", une déviation d'un sigma étant non significative (bande verte), 2 sigma (bande jaune) correspond à une probabilité de 4.6% d'être conforme à l'hypothèse, 3 sigma à 0.27%, et ainsi de suite… pour prétendre à une découverte, on admet qu'il faut que la mesure diffère de la prédiction de plus de 5 sigma, la probabilité que l'effet observé soit dû à une fluctuation statistique est alors de l'ordre de 6 chances pour 10 millions. Les points reliés par la ligne continue noire correspondent aux mesures ; on constate que dans le domaine de sensibilité, les mesures ne s'écartent pas significativement de l'hypothèse sans Higgs, on peut donc exclure tout le domaine de masse entre 141 et 476 GeV à plus de 95% de niveau de confiance.

Avec l'ensemble des collisions enregistrées en 2010 et 2011, ATLAS obtient le résultat suivant qui a été présenté pour la première fois le 13 décembre :
Extrait de la présentation de Fabiola Gianotti au CERN le 13/12/2011


En grossissant la partie à basse masse on observe dans la zone de sensibilité  une déviation de 3.6 sigmas par rapport à l'hypothèse sans Higgs pour une masse voisine de 126 GeV.
Extrait de la présentation de Fabiola Gianotti au CERN le 13/12/2011

Cette déviation est visible dans 3 canaux de désintégration différents (gamma gamma, 4 leptons et 2 leptons / 2 neutrinos). Il faut moduler la portée de ce résultat par le fait que l'excès est vu en scrutant un large domaine de masse, or plus on fait de mesures, plus on a de chance d'observer une fluctuation statistique importante (quand beaucoup de gens jouent au loto, il y a presque toujours un gagnant !) Cet effet est dénommé "look elsewhere effect" ("regarder ailleurs" en français) et peut-être quantifié. Quand il est pris en compte, la signification statistique de la déviation tombe à 2.3 sigma. Parmi les canaux étudiés le Higgs --> gamma gamma est celui dans lequel la déviation est la plus grande (2.8 sigma).

L'expérience CMS a fait la même étude et observe une légère déviation par rapport à l'hypothèse sans Higgs pour des masses inférieures à 127 GeV mais la signification statistique n'est que de 2.6 sigma et tombe à 1.9 sigma en incluant le "look elsewhere effect". CMS n'exclue donc pas un Higgs de basse masse mais son observation est également parfaitement compatible avec une fluctuation statistique.

Le résultat de tout ce travail est donc une indication pour une possibilité d'existence d'un Higgs ayant une masse proche de 126 GeV mais il convient de rester très prudent et d'attendre les résultats de la prise de données de  2012 avec une statistique multipliée par au moins 4 qui devrait être suffisante pour découvrir le Higgs ou l'exclure définitivement. On y verra alors plus clair pour continuer d'explorer la physique du LHC. En tout cas, pour paraphraser Fabiola Gianotti, si le Higgs est vraiment dans cette zone de masse, il sera passionnant à étudier avec plusieurs canaux de désintégration accessibles aux détecteurs. De plus, si sa masse est faible, il est probable qu'un seul Higgs standard ne soit pas suffisant pour assurer la cohérence du modèle standard et cela serait une indication de l'existence d'autres phénomènes intéressants accessibles au LHC, tels que la supersymétrie.