dimanche 9 septembre 2012

BAO - Un étalon cosmique


Sous le terme barbare d'Oscillations Acoustiques Baryoniques ou BAO se cache une avancée récente dans le domaine de la cosmologie qui devrait apporter dans les prochaines années un outil très intéressant pour étudier l'évolution du taux d'expansion de l'univers au cours du temps et ainsi amener de précieux indices sur la nature de l'énergie noire.

À plus d'un titre l'Univers est un objet d'étude extraordinaire. L'un des aspects les plus fascinant à mon avis, est le fait que faisant partie de cet Univers, nous n'avons pas d'autres choix que de l'observer depuis un point de vue très particulier, situé en un endroit et à un instant précis. À partir de ce que nous observons ici et aujourd'hui, la cosmologie consiste à tenter de déduire le comportement global de cet Univers  partout et à tout moment.

Heureusement pour le cosmologiste, le fait que la vitesse de propagation d'un signal (lumineux ou autre) soit finie, permet en observant des objets lointains, non seulement de voir ailleurs, mais aussi de remonter dans le passé.  L'Univers au cours de son évolution laisse tout un ensemble de traces de son activité. Les signaux émis en un lieu et à un moment donné, pour peu qu'ils ne soient pas absorbés, se propagent indéfiniment. Au cours de ce voyage ils subissent les effets de l'évolution même de l'Univers, ils portent donc en eux tout un ensemble d'informations imbriquées sur les phénomènes qui leur ont donné naissance et sur la dynamique de l'espace-temps qu'ils ont traversé. Charge au physicien de démêler l'écheveau et d'en extraire les lois fondamentales qui gouvernent l'évolution de l'Univers.

La grande difficulté des mesures cosmologiques vient du fait que lorsqu'on observe un objet  nous ne disposons ni de mesure de distance absolue, ni de mesure de temps. La notion même de distance est ambiguë : parle-t-on de la distance séparant l'observateur et l'astre au moment où ce dernier a émis un signal lumineux, ou bien de la distance entre l'observateur et l'astre aujourd'hui ? Parle t-on de la distance déduite de la luminosité de l'astre ou encore de celle que l'on détermine à partir de la dimension angulaire de l'objet. Toutes ces définitions de distances ont un sens physique, mais ne donnent pas un résultat identique, loin de là...

Le décalage spectral "z", c’est-à-dire l'allongement des longueurs d'onde des signaux émis par les objets lointains est l'ami du cosmologiste observationnel. En effet ce décalage vers le rouge est lié au rapport entre une échelle de distance caractéristique de l'Univers au moment de l'émission du signal et la même échelle au moment de la réception du signal.  En d'autre terme ; entre le moment où le signal est émis et celui où il est reçu, l'Univers a subi une expansion dont dépend la valeur du décalage spectral. Malheureusement il n'est pas possible d'en déduire une distance absolue car on ne connait pas a priori la façon dont l'Univers se dilate. Par contre, on sait qu'un astre lointain possédant un décalage spectral plus grand qu'un autre se situe à une plus grande distance.

Concernant la distance déterminée à partir de la luminosité, il est possible de sonder l'univers lointain en observant des supernovae de type 1A car ces astres évoluant selon un processus connu et probablement très uniforme, il est possible de déterminer leur luminosité absolue. En comparant, la luminosité absolue calculée avec la luminosité apparente, on obtient une mesure de la distance de luminosité. En répétant cette mesure pour des astres possédant différents décalages spectraux, on peut tracer une courbe sensible à la façon dont l'Univers se dilate. C'est ainsi qu'en 1998, les équipes du Supernova Cosmology Project  et du High-z SupernovaSearch Team constatèrent indépendamment que les supernovae les plus lointaines brillaient un peu moins que ce qui étaient attendu. La conclusion, fort surprenante, fut que l'Univers semble être actuellement dans une phase d'expansion accélérée. C'est cette observation, confirmée par la suite par les mesures du rayonnement de fond cosmologique, qui a conduit à l'hypothèse de l'existence d'une énergie noire qui représenterait les trois quart de la densité en énergie de l'Univers.

Malheureusement toutes ces mesures reposent sur l'hypothèse que les supernovae de type 1A sont bien des chandelles standards, c’est-à-dire qu'elles brillent et évoluent toutes de la même manière ce qui fait largement débat et est difficile à contrôler. Pour faire des mesures vraiment précises, l'idéal serait de disposer d'une sorte de règle ou d'étalon cosmique que l'on puisse mesurer à différentes périodes de l'évolution de l'Univers. Cet étalon existe, c'est une dimension caractéristique liée à ce qu'on nomme du nom barbare d'Oscillations  Acoustiques des Baryons dont l'acronyme anglais est BAO.

Peu de temps après le big-bang, l'Univers est très chaud et est rempli d'un plasma constitué d'électrons, de protons et de neutrons. Les photons produits par les interactions entre les particules de matières ne peuvent pas se propager facilement, ils sont tout de suite réabsorbés en interagissant avec le plasma. A l'intérieur de ce plasma, il y a de petites inhomogénéités, qui donneront plus tard naissance aux grandes structures de l'Univers. Certaines régions sont donc un petit peu plus denses et attirent gravitationnellement  la matière environnante ce qui a pour effet d'augmenter le nombre d'interactions entre les grains de matière qui émettent une radiation sous forme de photons. Cette radiation va avoir tendance à repousser la matière qui va aller créer des zones de surdensité ailleurs. Ce phénomène de pulsation perdure tant que l'Univers est suffisamment chaud pour que les photons interagissent avec la matière, c’est-à-dire pendant environ 380 000 ans, temps auquel la matière et le rayonnement se découplent. Les photons se propagent alors de leur côté et constituent le rayonnement de fond cosmologique que l'on détecte aujourd'hui avec une température de 2.7 Kelvins et qui garde la trace des inhomogénéités de l'Univers primordial. 
Rayonnement du fond cosmologique micro-ondes
Carte des inhomogénéités de la température du rayonnement cosmologique, telles que mesurées par la collaboration WMAP
Les  ondes de matière se propagent également pendant environ 1 million d'années, périodes à laquelle les galaxies commencent à se former. Comme illustré par le graphique ci-dessous, des surdensités de matière existent au centre de l'onde (la zone où elle s'est formée) et sur le front d'onde qui s'est propagé (nommé horizon acoustique). 
Source :  http://cosmology.lbl.gov/BOSS/as2_proposal.pdf
Les galaxies vont avoir tendance à se former au niveau des zones de surdensité qui agissent comme des germes. On s'attend donc à ce qu'aujourd'hui encore, les grandes structures formées par les galaxies conservent une empreinte de ces ondes de pression.

À partir de l'an 2000 le projet SLOAN Digital Sky Survey (SDSS) a entrepris de cartographier des centaines de milliers de galaxies. La figure ci-dessous représente la carte obtenue, on voit clairement que les galaxies ne sont pas réparties de manière isotropes et qu'elles se rassemblent le long de filaments.
Distribution spatiale des galaxies observées par la collaboration  SDSS - Source: http://www.sdss.org/includes/sideimages/sdss_pie2.html
Comme le montre le graphique ci-dessous, l'analyse statistique de la position de ces objets a permis de déterminer que chaque paire de galaxies a une chance plus importante d'être séparée par environ 500 millions d'années-lumière que par 400 millions ou 600 millions. 
Figure extraite de la publication  http://arxiv.org/pdf/1203.6594v1.pdf de la collabration SDSS III - BOSS. Le pic montre que l'empreinte des oscillations acoustiques baryoniques est bien présente lorsqu'on analyse la distribution spatiale des galaxies. Il correspond à une distance privilégiée d'environ 500 années-lumières entre les galaxies.
500 millions d'années-lumière représentent la dimension de l'horizon acoustique des ondes de pression dans l'Univers actuel. Cette mesure fournit également un étalon de longueur pour les études cosmologiques ; en sondant l'Univers à différentes distances (différents décalages spectraux) il est possible de déterminer comment l'étalon de longueur s'est modifié au cours de l'évolution de l'Univers et ainsi d'avoir accès à des paramètres cosmologiques fondamentaux, notamment ceux liés à l'énergie noire.  

Bibliographie :