lundi 27 décembre 2010

Le destrier d'Orion

La photographie ci-dessous a été prise hier soir depuis mon jardin avec une petite lunette de 66 mm de diamètre pour 400 mm de focale et équipée d'un filtre H alpha. L'image finale résulte de l'empilement de 16 poses individuelles de 4 minutes. Le temps d'exposition total est donc de 1 heure et 4 minutes.

Il s'agit de la "Tête de Cheval" dans la nébuleuse IC434 ; elle est située à environ 1500 années lumière de la Terre dans la constellation d'Orion. La Tête de Cheval elle-même fait partie d'un nuage de poussières dense qui masque une nébuleuse en émission, c'est-à-dire un nuage d'hydrogène excité par l'intense rayonnement émis par une étoile voisine. En bas à gauche, on distingue une portion de la nébuleuse de la Flamme et juste au dessus, se trouve l'étoile Alnitak, visible à l'œil nu comme l'étoile la plus à l'Est du "baudrier d'Orion".

Dans le ciel, le champ couvert par la photographie représente deux fois le diamètre de la pleine Lune, c'est-à-dire que si nos yeux étaient suffisamment sensibles, il serait alors possible de voir ce spectacle magnifique sans aucun grossissement.

La nébuleuse de la Tête de Cheval a été observée pour la première fois en 1890 par Williamina Paton Stevens Fleming qui ayant été abandonnée par son mari, était entrée au service du célèbre astronome Edward Charles Pickering. La petite histoire dit que ce dernier, mécontent de ces assistants masculins avait offert à sa femme de chambre un poste à l'observatoire.
La photographie ci-dessus montre la plaque photographique analysée par Williamina Fleming sur laquelle la Tête de Cheval apparait pour la première fois. Williamina Fleming fut l'auteure de biens d'autres découvertes dont celle des étoiles de type "naines blanches".
Orion est la constellation typique du ciel d'hiver. Outre la Tête de Cheval et la Flamme, elle renferme la grande nébuleuse d'Orion, immense nuage de gaz que l'on distingue à l'œil nu si la nuit est bien noire. Sortez dehors, levez le nez, bravez le froid, c'est superbe...

vendredi 24 décembre 2010

Théories physiques et représentations du monde (2)

L'émergence des nouvelles théories de la physique moderne au XXe siècle, avec les relativités (restreinte et générale) et la mécanique quantique, s'est accompagnée d'une complexification considérable de la représentation des mondes qu'elles décrivent.
Les concepts de mécanique classique ne posent aucun problème de compréhension car ils décrivent le plus souvent le comportement d'objets courants, macroscopiques, évoluant à des vitesses humainement concevables... Il est facile d'imaginer ou de réaliser des expériences qui en illustrent les principaux aspects et les effets observés heurtent rarement le sens commun.

La représentation de la mécanique céleste commence déjà à poser quelques problèmes. Il faut, par exemple, admettre que des corps massifs interagissent entre eux grâce à une force de portée infinie et proportionnelle à la masse des corps en question.  Il faut également admettre qu'un corps mis en mouvement dans le vide et soumis à aucune force va conserver ce mouvement indéfiniment. C'est logique quand on y pense, mais ce n'est absolument pas intuitif si on se réfère aux situations de la vie courante où les frottements tendent à stopper tout mouvement après un temps relativement court à l'échelle humaine.

Le problème se complexifie considérablement avec les relativités et la mécanique quantique car ces théories décrivent  des situations que nous n'observons pas dans la vie courante. Par exemple pour un Être Humain normalement constitué, le temps est absolu : il s'écoule du passé vers le futur  de la même manière en tout point du globe et quelques soient les conditions dans lesquelles on se trouve. La vie courante est construite autour de ces principes et les horloges synchronisées à quelques fractions de seconde près rythment notre existence. La notion de relativité du temps en fonction du référentiel dans lequel se trouve l'observateur bouleverse le sens commun. De même, la représentation quantique d'une particule dont on ne peut pas dire à coup sûr qu'à tel moment elle se trouve à une position donnée et qu'elle est animée d'une vitesse précise, est difficilement concevable. Même les plus grands physiciens ont eu du mal avec ces notions, à tel point que certains n'ont jamais cru à la véracité de la théorie quantique. Il est vrai que jusqu'au début du XXe siècle, on était persuadé du caractère déterministe de la physique ; une "bonne" théorie se devait donc de pouvoir prédire à coup sûr des grandeurs comme la vitesse ou la position d'un objet pour peu que l'on connaisse les conditions initiales du système et les forces mises en jeu.

Le fond du problème est notre difficulté, voire notre incapacité à construire une représentation du monde différente de celle que nous percevons dans notre quotidien. Quoiqu'on  fasse, on aura toujours un mal fou à se représenter une particule autrement que comme une petite bille et un atome autrement que sous la forme d'un système planétaire dans lequel le noyau joue le rôle du Soleil et les électrons celui des planètes. Si vous demandez à des physiciens de vous expliquer ce qu'est le spin d'une particule, il y a fort à parier que la majorité d'entre eux répondront que c'est une quantité qui caractérise le fait qu'une particule tourne sur elle-même dans un sens ou dans l'autre ! Cette représentation du spin n'a rien à voir avec la réalité ; elle ne sert qu'à tenter de mettre une image sur des propriétés physiques qui n'ont aucun équivalent dans notre monde macroscopique. 

Le besoin de mettre des images sur des phénomènes physiques va très loin. C'est ainsi que les physiciens des particules ont inventé la notion de "charge de couleur" pour les quarks. Chaque quark est ainsi affublé d'une couleur arbitraire, un ensemble de quarks composant une particule devant globalement être neutre au niveau des couleurs. Par exemple, un baryon (proton, neutron,…) est composé de 3 quarks obligatoirement de couleurs différentes afin que la résultante soit blanche. Bien entendu, ces couleurs sont des représentations mentales d'une réalité qui est toute autre.

A partir d'un certain niveau de complexité, il devient très difficile de construire des représentations mentales cohérentes et seules les mathématiques permettent de décrire fidèlement les phénomènes physiques. Cet état de fait peut semer le doute chez les non spécialistes qui ne voient dans ces théories qu'un édifice mathématique abscons alors qu'il s'agit bien d'une représentation (parfois imparfaite) de la réalité. De même, une prédiction découlant de calculs mathématiques, aussi surprenante soit-elle, doit être considérée comme la manifestation d'une réalité si l'expérience la confirme.

La grande question qui se pose, et à laquelle je n'ai pas de réponse, est : Pourquoi les mathématiques sont ce qu'on a trouvé de mieux pour représenter le monde ? Y a-t-il là quelque chose de fondamental ? Les mathématiques sont-elles le fondement même de l'Univers, ou n'est-ce qu'un pis-aller pratique qui pourrait être détrôné par une autre approche qui s'imposera quand l'Humain aura atteint un niveau de conscience supérieur ?

vendredi 10 décembre 2010

Théories physiques et représentations du monde (1)

Je suis toujours un peu étonné de la vision manichéenne souvent exprimée par le grand public sur les grandes théories de la physique moderne. Il semble que pour beaucoup de personnes, une bonne théorie se doit d'être juste dans l'absolu, comme si la seule vraie théorie était celle qui décrivait l'Univers dans son ensemble, une sorte de théorie du Tout ou de théorie de Dieu. Cette conception tend d'ailleurs à décrédibiliser la science et les scientifiques, car le fait qu'une partie d'une théorie soit remise en cause par l'observation ou par de nouvelles avancées conceptuelles, est assimilé à l'invalidation de l'ensemble.

A cet égard, la théorie de la relativité restreinte d'Einstein a souvent été mise en cause. C'est un peu passé de mode, mais on a vu pendant longtemps, y compris dans des journaux de vulgarisation scientifique, que tel ou tel avait démontré que cette théorie était fausse. J'imagine que les paradoxes temporels  étant sources de beaucoup de fantasmes et heurtant le sens commun, la relativité restreinte se trouvait être une cible toute désignée pour les sceptiques.  Or, actuellement, les relativités restreinte et générale marchent tellement bien que même pour une application aussi courante que le GPS, il est indispensable de prendre en compte les corrections relativistes si l'on veut éviter une dérive de précision de l'ordre de 2 km par jour ! Chaque jour, des millions de personnes à travers le monde vérifient donc la relativité dans leur voiture et quand vous n'arrivez pas à bon port c'est à coup sûr à cause d'une erreur dans les cartes ou dans le logiciel et Albert n'y est pour rien !

Une théorie, pour être valable, se doit d'expliquer les observation et d'être prédictive, c'est-à-dire être capable de prédire le résultat d'une mesure encore jamais réalisée. Une théorie a toujours un domaine d'application. Par exemple, lorsque les Grecs ont introduit les épicycles dans leur théorie sur le mouvement des astres, c'était pour rendre compte de l'observation des "astres errants" (les planètes) qui semblaient se déplacer différemment des autres astres (les étoiles). Cette théorie qui nous semble maintenant un peu bizarre, rendait compte de l'observation et avait certainement un certain pouvoir prédictif. C'était donc une "bonne" théorie, adaptée à la compréhension et aux moyens d'observation de l'époque.

De même, la mécanique classique qui permet de décrire le comportement des objets macroscopiques animés d'une vitesse petite devant celle de la lumière fonctionne très bien. Elle décrit magnifiquement le monde courant et me permet de calculer la trajectoire d'un objet mobile avec une précision tout à fait honorable. C'est quand je sors du domaine d'application de la mécanique classique que je dois me placer dans le cadre d'une théorie plus générale ou plus adaptée. Par exemple, si mon objet se déplace avec une très grande vitesse, je vais devoir appliquer des équations relativistes, ou bien si mon objet est une particule élémentaire interagissant avec une autre, il me faudra alors me placer dans le cadre de la théorie quantique des champs. Aucune de ces théories n'est juste dans l'absolu ; toutes sont les meilleures descriptions  que nous connaissions dans des domaines bien précis. Rien ne m'empêche d'ailleurs de me placer dans un cadre relativiste pour décrire le mouvement d'un train, je vais juste compliquer les calculs pour arriver au même résultat que si je m'étais placé dans un cadre classique non relativiste.

Une nouvelle théorie émerge lorsque les théories existantes sont incapables de rendre compte de l'observation. Par exemple, au début du XXe siècle, les physiciens étudient les propriétés d'un objet relativement simple nommé "corps noir" : il s'agit d'un système capable d'absorber intégralement les rayonnements auxquels il est exposé.  Une fois à l'équilibre thermique, il réémet un rayonnement dont on peut mesurer les caractéristiques. Or, quand on fait les calculs dans le cadre de la physique classique, on arrive à la conclusion absurde que le corps noir doit rayonner une quantité infinie d'énergie. Ce fut l'un des deux arguments qui ont mené à l'élaboration de la théorie quantique, l'autre étant l'explication de l'effet photo-électrique par l'existence de quanta de rayonnement, nommés photons. On voit donc que l'émergence d'une théorie qui va bouleverser profondément notre conception de la physique découle des propriétés d'un objet relativement banal (en première approximation, il s'agit d'un four parfaitement isolé et percé d'un petit trou permettant d'effectuer les mesures).

L'apparition de quantités infinies dans les calculs est toujours le signe que quelque chose ne fonctionne pas (et pour cause !) C'est par exemple par des arguments de ce type que l'on sait que le modèle standard de la physique des particules est incomplet et que le LHC est très bien placé pour mettre en évidence de nouveaux phénomènes caractéristiques d'une théorie physique plus générale. Quand on fait face à une telle situation, de nombreuses théories sont proposées par les théoriciens. Toutes doivent au minimum être capables de rendre compte de la physique connue. Ce seront finalement les résultats des expériences qui permettront de repérer les bonnes théories et d'éliminer les autres sans appel.

Toute théorie n'est donc pas bonne à priori. La science ne permet pas de supposer n'importe quoi. Par exemple, la gravitation fait que ma chaise a ses quatre pieds bien posés sur le sol. Une théorie qui prédirait qu'elle va se soulever d'elle-même jusqu'au plafond peut être rejetée immédiatement. Cet exemple est évidemment absurde mais les hypothèses farfelues prédisant l'engloutissement de la Terre dans un trou noir créé par le LHC l'étaient tout autant et pourtant elles ont fait couler beaucoup d'encre et il a fallu que le CERN se justifie. Certes, nous sommes loin de tout connaitre, mais cela ne veut pas dire que nous ne connaissons rien. Un certain nombre de choses ne peuvent simplement pas être.