vendredi 10 décembre 2010

Théories physiques et représentations du monde (1)

Je suis toujours un peu étonné de la vision manichéenne souvent exprimée par le grand public sur les grandes théories de la physique moderne. Il semble que pour beaucoup de personnes, une bonne théorie se doit d'être juste dans l'absolu, comme si la seule vraie théorie était celle qui décrivait l'Univers dans son ensemble, une sorte de théorie du Tout ou de théorie de Dieu. Cette conception tend d'ailleurs à décrédibiliser la science et les scientifiques, car le fait qu'une partie d'une théorie soit remise en cause par l'observation ou par de nouvelles avancées conceptuelles, est assimilé à l'invalidation de l'ensemble.

A cet égard, la théorie de la relativité restreinte d'Einstein a souvent été mise en cause. C'est un peu passé de mode, mais on a vu pendant longtemps, y compris dans des journaux de vulgarisation scientifique, que tel ou tel avait démontré que cette théorie était fausse. J'imagine que les paradoxes temporels  étant sources de beaucoup de fantasmes et heurtant le sens commun, la relativité restreinte se trouvait être une cible toute désignée pour les sceptiques.  Or, actuellement, les relativités restreinte et générale marchent tellement bien que même pour une application aussi courante que le GPS, il est indispensable de prendre en compte les corrections relativistes si l'on veut éviter une dérive de précision de l'ordre de 2 km par jour ! Chaque jour, des millions de personnes à travers le monde vérifient donc la relativité dans leur voiture et quand vous n'arrivez pas à bon port c'est à coup sûr à cause d'une erreur dans les cartes ou dans le logiciel et Albert n'y est pour rien !

Une théorie, pour être valable, se doit d'expliquer les observation et d'être prédictive, c'est-à-dire être capable de prédire le résultat d'une mesure encore jamais réalisée. Une théorie a toujours un domaine d'application. Par exemple, lorsque les Grecs ont introduit les épicycles dans leur théorie sur le mouvement des astres, c'était pour rendre compte de l'observation des "astres errants" (les planètes) qui semblaient se déplacer différemment des autres astres (les étoiles). Cette théorie qui nous semble maintenant un peu bizarre, rendait compte de l'observation et avait certainement un certain pouvoir prédictif. C'était donc une "bonne" théorie, adaptée à la compréhension et aux moyens d'observation de l'époque.

De même, la mécanique classique qui permet de décrire le comportement des objets macroscopiques animés d'une vitesse petite devant celle de la lumière fonctionne très bien. Elle décrit magnifiquement le monde courant et me permet de calculer la trajectoire d'un objet mobile avec une précision tout à fait honorable. C'est quand je sors du domaine d'application de la mécanique classique que je dois me placer dans le cadre d'une théorie plus générale ou plus adaptée. Par exemple, si mon objet se déplace avec une très grande vitesse, je vais devoir appliquer des équations relativistes, ou bien si mon objet est une particule élémentaire interagissant avec une autre, il me faudra alors me placer dans le cadre de la théorie quantique des champs. Aucune de ces théories n'est juste dans l'absolu ; toutes sont les meilleures descriptions  que nous connaissions dans des domaines bien précis. Rien ne m'empêche d'ailleurs de me placer dans un cadre relativiste pour décrire le mouvement d'un train, je vais juste compliquer les calculs pour arriver au même résultat que si je m'étais placé dans un cadre classique non relativiste.

Une nouvelle théorie émerge lorsque les théories existantes sont incapables de rendre compte de l'observation. Par exemple, au début du XXe siècle, les physiciens étudient les propriétés d'un objet relativement simple nommé "corps noir" : il s'agit d'un système capable d'absorber intégralement les rayonnements auxquels il est exposé.  Une fois à l'équilibre thermique, il réémet un rayonnement dont on peut mesurer les caractéristiques. Or, quand on fait les calculs dans le cadre de la physique classique, on arrive à la conclusion absurde que le corps noir doit rayonner une quantité infinie d'énergie. Ce fut l'un des deux arguments qui ont mené à l'élaboration de la théorie quantique, l'autre étant l'explication de l'effet photo-électrique par l'existence de quanta de rayonnement, nommés photons. On voit donc que l'émergence d'une théorie qui va bouleverser profondément notre conception de la physique découle des propriétés d'un objet relativement banal (en première approximation, il s'agit d'un four parfaitement isolé et percé d'un petit trou permettant d'effectuer les mesures).

L'apparition de quantités infinies dans les calculs est toujours le signe que quelque chose ne fonctionne pas (et pour cause !) C'est par exemple par des arguments de ce type que l'on sait que le modèle standard de la physique des particules est incomplet et que le LHC est très bien placé pour mettre en évidence de nouveaux phénomènes caractéristiques d'une théorie physique plus générale. Quand on fait face à une telle situation, de nombreuses théories sont proposées par les théoriciens. Toutes doivent au minimum être capables de rendre compte de la physique connue. Ce seront finalement les résultats des expériences qui permettront de repérer les bonnes théories et d'éliminer les autres sans appel.

Toute théorie n'est donc pas bonne à priori. La science ne permet pas de supposer n'importe quoi. Par exemple, la gravitation fait que ma chaise a ses quatre pieds bien posés sur le sol. Une théorie qui prédirait qu'elle va se soulever d'elle-même jusqu'au plafond peut être rejetée immédiatement. Cet exemple est évidemment absurde mais les hypothèses farfelues prédisant l'engloutissement de la Terre dans un trou noir créé par le LHC l'étaient tout autant et pourtant elles ont fait couler beaucoup d'encre et il a fallu que le CERN se justifie. Certes, nous sommes loin de tout connaitre, mais cela ne veut pas dire que nous ne connaissons rien. Un certain nombre de choses ne peuvent simplement pas être.

2 commentaires:

  1. Et les théories à la mode en ce moment, c'est quoi?

    RépondreSupprimer
  2. @Dragib: Tu le sais bien: Théorie des cordes contre gravitation quantique à boucles, tu choisis ton camp :-)

    Plus sérieusement, un grand problème actuel est de trouver une théorie qui concilie la mécanique quantique et la gravitation (actuellement décrite par la relativité générale).

    Le fait que ces deux théories soient pour le moment complètement disjointes, est certainement le signe qu'il y a quelque chose de très fondamental qui échappe à notre compréhension.

    RépondreSupprimer