Chaque année au mois de novembre a lieu au États-Unis la grande conférence "Super Computing" qui est l'occasion de faire le point sur l'état de l'art en matière d'informatique de pointe, on pourrait même parler ici d'informatique extrême. C'est au cours de cette conférence qu'est établie l'une des deux éditions annuelles du "top 500" des ordinateurs les plus puissants de la planète.
Balade dans le "French Quarter" |
Le "top 500" a un petit côté puéril dans le sens où c'est quasiment une question de fierté nationale de montrer aux yeux des observateurs ébahis que l'on possède la plus grosse… machine mondiale. D'un autre côté le "top 500" permet de quantifier les progrès technologiques et de se projeter dans l'avenir afin de déterminer quand l'informatique permettra de résoudre tel ou tel problème particulièrement gourmand en puissance de calcul.
Cette année Super Computing avait lieu à la Nouvelle Orléans et rassemblait 10 000 experts. Pour la première fois, la Chine a obtenu la première place au "top 500" avec la machine Tianhe-1A (Tianhe signifiant Voie Lactée en chinois) qui déploie une puissance de 2.6 petaFlops c'est-à-dire 2.6 millions de milliards d'opérations en virgule flottante par seconde, loin devant la machine américaine Jaguar de la compagnie Cray qui n'aligne "que" 1.8 petaFlops.
Le "top 500" est déterminé en exécutant le même algorithme étalon sur toutes les machines. L'étalon nommé "LINPACK", consiste à résoudre un énorme système d'équations linéaires. La résolution nécessite un très grand nombre de calculs élémentaires qui sont répartis sur l'ensemble des processeurs de la machine. LINPACK va s'exécuter d'autant plus rapidement que la vitesse des processeurs est grande, que leur nombre est important et qu'ils disposent d'un réseau suffisamment performant pour échanger des informations rapidement. L'algorithme lui-même est relativement simple et est donc facilement implantable quelque soit le type de processeur utilisé. Il est possible à partir des données constructeurs de déterminer la puissance théorique d'un ordinateur que l'on peut alors comparer avec la puissance mesurée. Dans la liste du "top 500" ces deux valeurs sont respectivement désignées par Rpeak (théorique) et Rmax(mesurée). Un rapport Rmax / Rpeak proche de 1 indique que l'architecture matérielle est parfaitement exploitée par l'algorithme.
Quand on regarde le rapport Rmax / Rpeak pour les premiers ordinateurs du Top 500, on voit que la machine chinoise présente un ratio de 0.55 alors qu'il est de 0.78 pour le Jaguar américain et même 0.84 pour la machine française classée 6ème au Top 500. En fait la machine chinoise est hybride et tire l'essentiel de sa puissance d'une utilisation massive de processeurs graphiques (américains) détournés à des fins de calcul. Cette architecture est astucieuse mais introduit des contraintes de programmation importantes et certaines applications complexes ne peuvent pas l'exploiter pleinement. Tianhe est donc une machine taillée pour le Top 500 mais elle serait certainement plus difficilement exploitable dans un autre cadre et se comparerait sans doute à la moyenne de ses concurrentes directes.
Ceci étant, la performance chinoise est excellente car il est loin d'être évident d'assembler une telle machine et le réseau d'interconnexion qui est parait-il de conception entièrement chinoise est certainement très performant.
Sur un plan moins technique, il est intéressant de noter qu'une partie des 10 premières machines du "top 500" est, principalement destinée à des usages militaires. La machine française TERA100 est installée dans les locaux de la Direction des Affaires Militaires (DAM) du CEA et va servir aux modélisations et simulations nécessaires à la mise au point des armes nucléaires de demain. Elle prend le relai de TERA 10 qui était déjà bien placée au "top 500" en son temps. Il en est de même pour le "Road Runner" de Los Alamos, et n'en doutons pas, pour Tianhe. Incontestablement, la dissuasion nucléaire se déplace maintenant vers l'informatique et il viendra peut-être un jour où le nombre de têtes nucléaires disponibles dans un pays, sera moins significatif que la puissance informatique et le niveau d'expertise des informaticiens militaires.
En dehors des applications militaires, ces supercalculateurs sont indispensables pour modéliser de plus en plus finement des phénomènes physiques complexes tels que des écoulements turbulents, l'évolution de galaxies ou encore tenter de comprendre l'évolution du climat sur de grandes périodes de temps, en tenant compte de la complexité de l'ensemble du globe terrestre (océans, terre et atmosphère). Certaines disciplines ne peuvent progresser que par un recours à des ordinateurs de plus en plus puissants.
Une petite partie des équipements réseau mis en oeuvre |
Mis à part le "top 500", la conférence Super Computing est l'occasion d'avoir une vue d'ensemble de tout ce qui touche à l'informatique de pointe, un gigantesque hall d'exposition et de démonstration permet aux participants de voir le matériel et de discuter avec des experts.
La technologie déployée est impressionnante. Chaque année, des experts du monde entiers collaborent avec des fabricants de matériel pour créer, le temps de la conférence, SCINET, le réseau informatique le plus rapide au monde. Cette années, pas moins de 270 km de fibres optiques ont été installées, le site de la Nouvelle Orléans était capable d'échanger 260 GigaOctets de données par seconde avec le monde extérieur (cela représente le contenu de 50 DVD chaque seconde) et une liaison expérimentale à 100 Gigabits par seconde était disponible pour réaliser des tests.
Quant à l'organisation, elle est à l'américaine avec de grands shows très colorés et hétéroclites, les exposants n'hésitant pas à payer de leur personne, tel ce constructeur qui faisait son exposé juché sur un monocycle et entravé par une camisole de force ! Ou tel autre qui avait engagé une diseuse de bonne aventure tirant les tarots et lisant dans une boule de cristal ! Dans un contexte scientifique, le décalage est total. En tout cas, le show est bien rodé et vaut le déplacement.
Ce qu'il ne faut pas inventer pour attirer l'attention ! |
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