Oui le Higgs se
cache, il se cache même bien le bougre ! Après deux ans de traque avec les
expériences installées sur le collisionneur LHC au CERN, il n'y a toujours pas
aujourd'hui de certitude quand à son existence.
Le 13 décembre avait
lieu au CERN un séminaire spécial pour faire le point sur l'état d'avancement
de la recherche du Higgs par les collaborations ATLAS et CMS. Inutile de dire
que l'attente était grande. L'amphi du CERN était comble et le séminaire diffusée
mondialement sur Internet a sans doute été suivi par des milliers de personnes
malgré son caractère très technique.
Fabiola Gianotti, la
porte parole de la collaboration ATLAS a commencé par saluer la superbe
performance de l'équipe en charge du fonctionnement de l'accélérateur, et en
effet, les prédictions les plus optimistes ont été dépassées puisque 5.25
inverse femtobarn ont été collectés par le détecteur ATLAS. L'unité est
inhabituelle pour des non physiciens, cela représente des milliards
d'interactions. Au-delà de chiffres énormes, on comprendra la performance du
LHC en sachant que le nombre de collisions enregistrées en deux ans dans
lesquelles une paire de quarks top est produite, représente déjà 10 fois la
statistique accumulée durant 17 ans par le Tevatron, l'accélérateur le plus
puissant au monde avant la mise en service du LHC et qui avait découvert le quark
top en 1994.
Ensuite Fabiola
Gianotti a montré l'accord quasi parfait entre les nombreuses mesures réalisées
par ATLAS et les prédictions du modèle standard de la physique des particules.
En effet, dès leur mise en service les expériences sur le LHC se sont attachées à
remesurer les paramètres du modèle standard afin de vérifier que détecteurs et
procédures d'analyse étaient bien compris. Certaines mesures sont déjà
tellement précises que les physiciens théoriciens doivent reprendre leur copie
afin d'affiner les prédictions et ainsi de traquer la moindre déviation
expérimentale qui pourrait révéler l'existence d'une nouvelle physique.
Bien qu'encore
hypothétique, le Higgs dit standard, a des propriétés bien connues, seule sa masse
ne peut être prédite par la théorie. On connait notamment ses modes de
désintégration et son taux de production dans les collisions proton - proton du
LHC. En fonction de sa masse certains modes de désintégrations sont
privilégiés. Par exemple à basse masse - en dessous de 130 GeV - le canal
privilégié est le Higgs se désintégrant en deux photons. Un peu plus massif, et
il faudra se tourner vers des modes
produisant des leptons (électrons, ou muons) accompagnés ou non de neutrinos,
ou encore des modes avec des quarks se matérialisant sous la forme de
"jets" de particules. Tout ces modes de désintégration coexistent
dans des proportions diverses et sont dilués dans un bruit de fond que le
physicien analyste s'attache à réduire au minimum.
En fonction du
nombre de collisions enregistrées et de la masse du Higgs on peut calculer la
sensibilité des expériences à la présence d'un Higgs. Les physiciens cherchent
donc à mettre en évidence des déviations par rapport à une hypothèse sans Higgs
dans les zones de sensibilité maximale. On peut ainsi exclure des domaines de
masse avec un certain niveau de confiance quantifiable, ou bien au contraire
observer des déviations plus ou moins significatives.
En novembre 2011,
l'analyse combinée des données des expériences ATLAS et CMS était résumée sur la
figure suivante :
Extrait de la présentation de Fabiola Gianotti au CERN le 13/12/2011 |
La zone de
sensibilité se trouve en dessous de la ligne rouge. La ligne pointillée
correspond à la prédiction du modèle standard en l'absence de Higgs. Les bandes
verte et jaune indiquent de combien une mesure peut statistiquement s'écarter
de la prédiction, tout en restant compatible avec l'hypothèse de l'absence de
Higgs. Cet écart se mesure en nombre de "sigma", une déviation d'un
sigma étant non significative (bande verte), 2 sigma (bande jaune) correspond à
une probabilité de 4.6% d'être conforme à l'hypothèse, 3 sigma à 0.27%, et ainsi
de suite… pour prétendre à une découverte, on admet qu'il faut que la mesure
diffère de la prédiction de plus de 5 sigma, la probabilité que l'effet
observé soit dû à une fluctuation statistique est alors de l'ordre de 6 chances
pour 10 millions. Les points reliés par la ligne continue noire correspondent
aux mesures ; on constate que dans le domaine de sensibilité, les mesures ne
s'écartent pas significativement de l'hypothèse sans Higgs, on peut donc exclure
tout le domaine de masse entre 141 et 476 GeV à plus de 95% de niveau de
confiance.
Avec l'ensemble des
collisions enregistrées en 2010 et 2011, ATLAS obtient le résultat suivant qui a été présenté pour la première fois le 13 décembre :
Extrait de la présentation de Fabiola Gianotti au CERN le 13/12/2011 |
En grossissant la
partie à basse masse on observe dans la zone de sensibilité une déviation de 3.6 sigmas par rapport à
l'hypothèse sans Higgs pour une masse voisine de 126 GeV.
Extrait de la présentation de Fabiola Gianotti au CERN le 13/12/2011 |
Cette déviation est
visible dans 3 canaux de désintégration différents (gamma gamma, 4 leptons et 2
leptons / 2 neutrinos). Il faut moduler la portée de ce résultat par le fait
que l'excès est vu en scrutant un large domaine de masse, or plus on fait de
mesures, plus on a de chance d'observer une fluctuation statistique importante
(quand beaucoup de gens jouent au loto, il y a presque toujours un gagnant !)
Cet effet est dénommé "look elsewhere effect" ("regarder
ailleurs" en français) et peut-être quantifié. Quand il est pris en
compte, la signification statistique de la déviation tombe à 2.3 sigma. Parmi
les canaux étudiés le Higgs --> gamma gamma est celui dans lequel la
déviation est la plus grande (2.8 sigma).
L'expérience CMS a
fait la même étude et observe une légère déviation par rapport à l'hypothèse
sans Higgs pour des masses inférieures à 127 GeV mais la signification
statistique n'est que de 2.6 sigma et tombe à 1.9 sigma en incluant le
"look elsewhere effect". CMS n'exclue donc pas un Higgs de basse
masse mais son observation est également parfaitement compatible avec une
fluctuation statistique.
Le résultat de tout
ce travail est donc une indication pour une possibilité d'existence d'un Higgs
ayant une masse proche de 126 GeV mais il convient de rester très
prudent et d'attendre les résultats de la prise de données de 2012 avec une statistique multipliée par au
moins 4 qui devrait être suffisante pour découvrir le Higgs ou l'exclure
définitivement. On y verra alors plus clair pour continuer d'explorer la
physique du LHC. En tout cas, pour paraphraser Fabiola Gianotti, si le Higgs est vraiment dans cette zone de masse, il sera passionnant à étudier avec plusieurs canaux de désintégration accessibles aux détecteurs. De plus, si sa masse est faible, il est probable qu'un seul Higgs standard ne soit pas suffisant pour assurer la cohérence du modèle standard et cela serait une indication de l'existence d'autres phénomènes intéressants accessibles au LHC, tels que la supersymétrie.
Bonjour 'Alvin'
RépondreSupprimerJe me suis permis de mettre à jour mon post sur l'annonce du 13.12 de mon blog en ajoutant un lien vers ce post qui éclaire bien les incertitudes qui restent...
You're welcome Doc...
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