samedi 19 novembre 2011

Neutrinos véloces - suite


Il y a un peu moins de deux mois, la collaboration OPERA soumettait à la critique de la communauté de physique une mesure du temps de propagation des neutrinos entre le CERN et le laboratoire souterrain du Gran Sasso dans les Abruzzes en Italie, soit une distance d'environ 730 km. Le résultat annoncé est très surprenant puisqu'il indique que les neutrinos arrivent environ 60 nanosecondes (ns) plus tôt que s'ils voyageaient à la vitesse de la lumière dans le vide. Depuis, de nombreuses contributions ont été apportées par les physiciens pour tenter d'expliquer le résultat ou bien pour pointer une possible source d'erreur. Pour l'instant aucune faille dans la procédure de mesure n'a pu être mise en évidence.

L'un des points délicats de la mesure concerne la structure temporelle du faisceau de neutrinos. En effet, les neutrinos sont produits lors de la désintégration de pions ou de kaons, eux même issus de l'interaction d'un faisceau de proton sur une cible. Le faisceau de protons initial est pulsé, chaque bouffée de protons s'étalant sur un intervalle de 10.5 microsecondes. A l'intérieur de cet intervalle, la densité de proton n'est pas uniforme et possède une structure formant cinq pics.

Lorsqu'un neutrinos est détecté dans OPERA, il est facile d'identifier à quel pulse de proton il appartient mais il est impossible de savoir à quel moment du pulse de 10.5 microsecondes il a été engendré. On comprend donc la difficulté de la mesure puisqu'il faut mesurer le temps de propagation des neutrinos avec une précisions de quelques nanosecondes alors que l'instant d'émission du neutrino peut se trouver n'importe où dans une fenêtre de 10.5 microsecondes. La collaboration OPERA s'en sort grâce à la statistique ; en effet, si l'on observe un grand nombre de neutrinos dans le détecteur OPERA on doit retrouver la structure en temps du faisceau de proton, c’est-à-dire la forme du pulse de 10,5 microsecondes. Les physiciens mesure donc  le temps d'arrivé des neutrinos, par rapport à un signal temporel parfaitement calé sur le début du pulse de protons. La distribution en temps des neutrinos enregistrée sur une longue période est ensuite ajustée par rapport à la forme des pulses de protons.

On comprend aisément que cette procédure complexe ait été pointée comme une possible source d'erreurs. On peut en effet imaginer des effets subtils qui modifient la forme effective des bouffées de neutrinos, comme par exemple un échauffement de la cible qui modifie la géométrie de celle-ci au cours des 10.5 microsecondes d'exposition au faisceau de protons.

Structure temporelle du faisceau de protons utilisé
pour refaire la mesure du temps de propagation des

neutrinos (source : http://tinyurl.com/c7af9oj )
Afin d'éclaircir ce point, le CERN a mis au point un faisceau de neutrinos avec une structure temporelle totalement différente. Dans celle-ci les protons forment des pulses de 3 nanosecondes de large et espacés de 524 nanosecondes. Il est alors possible de mesurer précisément le temps de propagation de chaque neutrino détecté au Gran Sasso puisque l'incertitude sur son temps d'émission n'est que de quelques nanosecondes. Pour des raisons techniques, un tel faisceau est environ 60 fois moins intense que le faisceau initial possédant une structure en pulse de 10.5 microsecondes, mais le fait que le temps de propagation de chaque neutrino puisse être mesuré permet de se satisfaire d'une statistique bien plus faible que lors de la première mesure.

En deux semaines de prise de données, OPERA a pu identifier et mesurer 20 interactions de neutrinos qui confirment parfaitement le premier résultat. La mesure obtenue correspond à une avance des neutrinos par rapport au temps prédit pour une propagation à la vitesse de la lumière dans le vide de 62.1 nanosecondes avec une incertitude de 3.7 nanosecondes.

Le mystère reste donc entier et à ce jour il n'y a aucune explication à ce phénomène. L'annonce d'une découverte aussi fondamentale nécessitera une confirmation de la part d'une expérience indépendante. La collaboration MINOS aux États-Unis est parait-il en train de préparer une mesure, mais il faudra être patient car une telle étude nécessite une compréhension totale des conditions expérimentales.

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