Mon cousin Philippe m'a fait prendre conscience des relations étroites et surprenantes qui existent entre les mécanismes mentaux mis en œuvre par les sportifs de haut niveau et ceux que mobilisent des scientifiques lors d'une présentation dans une conférence internationale.
Philippe entraine des jeunes au tennis, la base de son enseignement repose sur le détachement total du joueur, rien ne sert de se focaliser sur un mouvement et de se crisper, le bon mouvement apparait quasi-naturellement à partir du moment où le joueur est suffisamment détaché par rapport à son jeu. Détaché ne signifie pas inattentif, bien au contraire. L'état de concentration ultime correspond au moment où le joueur devient partie intégrante du jeu. Il n'y a plus de réaction ni d'anticipation, le sportif joue au présent, il est dans l'instant.
Cette façon d'être se rapproche des principes du tir à l'arc japonais ou Kyudo. D'après Wikipedia: "le pratiquant recherche un mouvement parfait, pour pouvoir transcender à la fois le désir de l'égo et l'objectif très terre à terre, consistant à percer une feuille de papier servant de cible, avec un minimum de tension musculaire et un maximum d'énergie spirituelle". La cible de papier est totalement accessoire, celui qui veut atteindre la cible, la manque. Tout est dans l'harmonie et l'absence de tension. Le tireur, fait corps avec l'arc, il est la flèche.
Cette approche peut sembler bien étrange, pourtant… Philippe obtient semble t'il des résultats extraordinaires qui rejaillissent sur le comportement quotidien des jeunes. J'avoue avoir eu un temps, du mal à accepter ces idées issues de la philosophie Zen, puis j'ai fini par réaliser que j'avais moi-même atteint cet état de conscience très particulier alors que je faisais des présentations scientifiques dans des conférences internationales.
Une présentation dans une grande conférence est un exercice très particulier dans la vie d'un chercheur. L'enjeu pour la collaboration est important, il faut réussir à exposer un résultat scientifique très complexe dans un temps très court et devant un auditoire d'experts. Un exposé d'une vingtaine de minutes représente des dizaines voire une centaine d'heures de préparation, durant lesquelles il faut tout comprendre de façon à extraire l'essentiel et trouver le moyen de le présenter clairement. À l'heure H, alors que l'orateur est devant ses pairs, il arrive qu'il atteigne un état curieux, dans lequel les mots sortent de manière naturelle, il est totalement dans son exposé, il est au présent... La sensation est étrange, plus rien n'existe, que le discours qui devient subitement limpide.
Je suis convaincu que la situation du joueur de tennis, du tireur à l'arc japonais et de l'orateur, relève des mêmes mécanismes.
Une autre situation qui me semble similaire est celle où on doit faire face à un problème particulièrement ardu. Le problème est posé, la solution semble exister, on dispose de toutes ses connaissances et de son expérience. Il faut mettre le tout dans le bon ordre et généralement on n'y arrive pas. C'est très frustrant et personnellement ces situations m'ont longtemps donné la sensation de n'être qu'un sombre crétin. J'ai fini par réaliser qu'en pareil cas, il est totalement inutile de s'obstiner sur le problème. L'entêtement conduit généralement à une mauvaise solution qu'on adopte parfois, sans trop y croire, pour se débarrasser du problème. La solution finit généralement par s'imposer d'elle-même quand on a finalement réussi à faire abstraction de l'objectif. La sensation est là encore étrange, quasiment jouissive. On sait que c'est LA solution.
Un article dans les pages scientifiques du New York Times et disponible ici, explique les vertus de l'esprit vagabond. Il est dit que ces errances de pensées que chacun connait, sont ce qui nous permet d'avancer vers nos buts à long terme. Durant les périodes éveillées, les pensées vagabondes occuperait notre esprit 30% du temps et cela monterait même à 75% du temps lorsque nous exécutons une tâche ennuyeuse comme de conduire sur une autoroute vide par exemple.
Les pensées vagabondes que l'on combat parfois car elles nous donnent l'impression de ne pas être attentif, sont finalement le moyen le plus efficace pour résoudre des problèmes complexes impliquant de mettre en relation de nombreuses données. C'est une source de créativité.
Et dire qu'il m'a fallut attendre pratiquement 50 ans pour comprendre cela et aborder les problèmes d'une manière totalement différente. Dommage que l'école ne nous apprenne pas à mieux utiliser notre esprit, que ce soit pour réussir dans le tennis ou dans les sciences !
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