La nouvelle a fait
grand bruit ; l'expérience OPERA a mesuré le temps de propagation de neutrinos
sur la distance séparant le CERN à Genève du laboratoire souterrain du GranSasso dans les Abruzzes en Italie, soit environ 730 km et a constaté que les
neutrinos arrivent 60 ns (soit 60 milliardième de seconde) plus tôt que s'ils
se propageaient à la vitesse de la lumière dans le vide !
OPERA est un
détecteur conçu au départ pour détecter l'apparition de neutrinos de type tau
dans un faisceau de neutrinos de type mu (voir cette note) afin de caractériser
le phénomène dit d'oscillation des neutrinos. Pour ce faire, un faisceau de
neutrinos de type mu est fabriqué au CERN et est envoyé à travers la croute
terrestre vers le détecteur situé dans le laboratoire du Gran Sasso. Les
neutrinos n'interagissant quasiment pas avec la matière, ils traversent les 730
km de roche se trouvant sur leur trajectoire, quasiment sans perturbation. Le
détecteur, très massif (1250 tonnes) doit être exposé au faisceau pendant de
très longues périodes pour observer quelques interactions de neutrinos. La
mesure du temps de parcours des neutrinos n'est donc pas le but principal de
l'expérience, mais un à côté intéressant. Une mesure similaire publiée en 2007
par la collaboration MINOS aux États-Unis indiquait une déviation par rapport à
la vitesse de la lumière non significative au niveau statistique.
Pour réaliser cette
mesure, il convient de parfaitement mesurer la distance entre la source des
neutrinos et l'endroit où ils sont détectés. Ceci a été fait grâce à des
balises GPS parfaitement étalonnées, positionnées au CERN et au Gran Sasso et complété par des mesures géodésiques
classiques afin déterminer les distances entre les balises et respectivement la
source et le détecteur de neutrinos. La précision obtenue est de 20 cm sur les
730.534 km de distance !
Le deuxième élément
de la mesure est la détermination du temps de propagation des neutrinos entre
le CERN et le détecteur. Il faut pour
cela disposer d'une même référence de temps entre les deux sites. Le système GPS
est là encore utilisé, mais fournit à lui seul une précision insuffisante de
100 ns. Le GPS est donc complété par
deux horloges atomiques, l'une au CERN et l'autre au Gran Sasso qui permettent
de ramener la précision sur la référence commune de temps à 1 ns. L'appareillage et son bon fonctionnement ont
été validés par deux instituts indépendants, spécialistes de ce type de mesure.
La difficulté est
ensuite que bien que l'on connaisse précisément le temps auquel un neutrino est
détecté dans OPERA, on ne connait pas le temps exact d'émission de ce même
neutrino au CERN. En effet, le faisceau de neutrinos est produit à partir de la
désintégration de pions et de kaons, eux même produits par un faisceau de
protons envoyé sur une cible. La seule référence temporelle est le pulse des
protons initiaux que l'on peut associer au neutrino détecté, mais ce pulse dure
10.5 microsecondes, contient une multitude de protons et il est impossible d'identifier quel proton
individuel est associé au neutrino détecté. Par contre la structure temporelle
des pulses est connue et stable dans le temps, on doit donc retrouver cette
même structure au niveau du timing de l'ensemble des neutrinos détectés. Il
s'agit là d'une analyse statistique classique dans laquelle le temps de
propagation des neutrinos est une variable que l'on ajuste.
L'étude rapportée
dans la publication de la collaboration OPERA porte sur 17000 interactions de
neutrinos accumulées entre 2009 et 2011. Il faut souligner le fait que
l'analyse a été menée en aveugle, c'est-à-dire que toute la procédure est mise
au point sans regarder le résultat qui n'est dévoilé aux analystes qu'au tout
dernier moment. Cela évite les biais subjectifs qui pourraient conduire les
physiciens à modifier inconsciemment la méthode afin de trouver un résultat
auquel ils s'attendent.
Le résultat est donc
là ; les neutrinos arrivent 60.7 ns plus tôt
que s'ils se propageaient à la vitesse de la lumière dans le vide.
L'incertitude sur cette mesure est de 6.9 ns due à la statistique (nombre
limité de neutrinos) et de 7.4 ns due aux effets systématiques expérimentaux (précision sur le temps, la
distance, ...). La signification statistique du résultat est donc excellente
puisque la valeur moyenne s'écarte de zéro par plus de 6 écarts standards (6
fois l'incertitude totale).
Devant ce résultat,
qui s'il se confirme, aura des conséquences profondes sur notre connaissance de
la physique ; l'ensemble de la collaboration OPERA (près de 200
physicien(ne)s) s'est bien entendu
creusée la tête pour essayer de trouver une erreur ou un biais dans l'analyse.
N'ayant pu trouver de problème, le résultat a été publié brut sans aucune tentative d'interprétation
et présenté devant la communauté mondiale afin d'être évalué et critiqué. Une
présentation publique a eu lieu le 23 septembre au CERN devant un amphi comble.
Après 10 jours de réflexion la communauté internationale de la physique n'a pas
été en mesure de trouver de faille dans la mesure et la majeure partie de cette
communauté salue le sérieux du travail effectué ainsi que la démarche de la
collaboration OPERA.
Il est bien entendu
possible qu'un effet n'ait pas été pris en compte, si c'est le cas, c'est
certainement quelque chose de très subtil et inattendu. Rappelons-nous que les
spécialistes du LEP (Large Electron Positron collider) dans les années 90
étaient très surpris de constater une variation périodique et inexpliquée de
l'énergie des faisceaux, jusqu'à ce que quelqu'un réalise qu'il s'agissait de
l'effet de marée qui changeait très légèrement la géométrie de l'accélérateur.
La communauté est en
attente d'une nouvelle mesure indépendante de la collaboration MINOS aux États-Unis qui
utilise un faisceau de neutrinos passant à travers la croute terrestre, tout
comme OPERA.
Merci pour ce résumé !
RépondreSupprimerA t-on des idées de la date à laquelle l'expérience contradictoire doit être menée ?
@Poussin : D'après les infos que j'ai eu, on pourrait s'attendre à un nouveau résultat indicatif de MINOS d'ici quelques mois à partir d'une ré-analyse plus précise des données existantes, par contre il faudrait beaucoup plus de temps (1-2 ans) pour un résultat décisif à partir de nouvelles données.
RépondreSupprimerA la masse !
RépondreSupprimerQuel drôle d'univers !
Il n'a fallu qu'une seconde à la particule NEUTRINO pour parcourir 300 006 km, là où la lumière n'a pu faire que 299 792 km !
C'est un tremblement de repères...
un pied de nez à la face de la terre !
http://www.lejournaldepersonne.com/2011/09/a-la-masse/