mercredi 19 janvier 2011

Une sombre histoire d'énergie noire…

Au début du XXe siècle la science considérait l'Univers comme étant statique,  immuable et relativement homogène. La notion même de galaxie n'existait pas encore et il faudra attendre 1923 et Edwin Hubble pour réaliser que les taches floues observées par les astronomes et alors baptisées nébuleuses sont des "univers-îles" c'est-à-dire des galaxies semblables à la nôtre et constituées de myriades d'étoiles.

L'Univers est donc statique et Einstein est un peu perturbé lorsqu'il constate que sa théorie de la gravitation (la relativité générale) prédit naturellement un univers en expansion. Il trouva cela tellement peu naturel qu'il crut bon d'ajouter une constante dans ses équations afin de rendre (artificiellement) l'univers statique.

Entre 1925 et 1929 Edwin Hubble et Milton Humason (je conseille de lire sa fiche Wikipedia car son histoire est savoureuse…) en observant le décalage vers le rouge des spectres  de certaines étoiles extragalactiques nommées céphéides dont on est capable de déterminer la distance, découvrent que celles-ci semblent s'éloigner de nous et ceci d'autant plus vite qu'elles sont situées à une grande distance. Hubble et Humason établissent la loi dite de Hubble qui relie la distance des objets cosmiques à leur vitesse de récession, sans parait-il en saisir toute la portée.

Entre temps et indépendamment, Alexandre Friedmann et le chanoine Georges Lemaître ont réalisé que les équations de la relativité générale prédisent un Univers en expansion. Les mesures de Hubble et Humason confirment donc cette prédiction remarquable. La controverse scientifique battra son plein pendant des années avant que ne s'impose cette théorie dite du "Big Bang", sobriquet inventé par l'astronome Fred Hoyle qui était convaincu que l'Univers était stationnaire.

L'incrédulité étant passée, tout allait bien avec l'Univers en expansion et la loi de Hubble qui relie la vitesse de récession des objets cosmiques à leur éloignement (plus un objet est loin plus il semble s'éloigner de nous à une grande vitesse). Le principal problème était alors de mesurer précisément la constante de Hubble et de déterminer la géométrie de l'Univers : plat (la gravité et l'expansion se compensent exactement, l'expansion est infinie mais tend à s'arrêter), fermé (la gravité l'emporte et l'Univers se recontracte), ou bien ouvert (l'expansion l'emporte et l'Univers se dilue à l'infini).

Pour tirer au clair cette affaire de géométrie de l'Univers, les astrophysiciens devaient trouver le moyen de mesurer le plus précisément possible la vitesse d'éloignement d'objets lointains situés à une distance connue. Pour cela ils ont recherché des "chandelles standards", c'est-à-dire des astres dont les caractéristiques physiques permettent de déterminer leur luminosité intrinsèque. En comparant la luminosité intrinsèque à la luminosité apparente mesurée depuis la Terre, il est facile de déterminer la distance de l'objet. Pour ce faire, Edwin Hubble avait utilisé des étoiles variables appelées Céphéides (l'étoile Polaire par exemple) dont le très fort éclat varie selon une période qui dépend de sa luminosité intrinsèque. Ces "chandelles" sont fiables, mais on ne peut les discerner que si elles ne sont pas trop éloignées et cela limite l'exploration à la proche banlieue de la Voie  Lactée. Afin de sonder l'Univers plus lointain, les astronomes utilisent des astres ayant une luminosité bien plus grande que les Céphéides, il s'agit de supernovae d'un type bien particulier dit "1A", dont le processus de formation est supposé suffisamment bien compris pour qu'on puisse déterminer la luminosité absolue de la supernova en observant précisément l'évolution du spectre de la lumière qu'elle émet. Le problème est qu'il y a très peu de supernovae qui explosent et seulement une fraction d'entre elles sont du type 1A. De plus, pour qu'elles soient exploitables pour mesurer l'Univers, il faut les détecter très tôt après l'explosion et suivre leur évolution. Il faut donc des télescopes dédiés qui scrutent le ciel en permanence à la recherche d'une étoile qui s'allume dans une lointaine galaxie.
La supernova SN2005cs dans la galaxie M51 située à 31 millions d'années-
lumière, photographiée avec mon matériel d'amateur en 2005. Les autres
étoiles appartiennent à notre propre galaxie et sont donc beaucoup plus
proches.
En résumé la mesure de l'évolution du spectre d'une supernova permet de remonter à sa luminosité intrinsèque donc à sa distance. La mesure du décalage vers le rouge de sa lumière est reliée à la vitesse à laquelle l'espace situé entre l'observateur et la supernova se dilate sous l'effet de l'expansion de l'Univers.

En 1998, deux équipes concurrentes : le Supernova Cosmology Project et le High-Z Supernova Search Team,  collectent depuis quelques années des données sur les supernovae 1A, toutes deux s'attendent à trouver des indications en faveur d'un ralentissement de la vitesse d'expansion de l'Univers. Si tel était le cas, une supernova très lointaine (c'est-à-dire qui s'est allumée il y a très longtemps) devrait s'éloigner proportionnellement plus vite qu'une supernova proche (c'est-à-dire qui s'est allumée récemment).  Curieusement les deux équipes observent exactement l'inverse ! La conclusion est donc que l'expansion de l'Univers est actuellement en train de s'accélérer.

Cette curieuse observation a depuis été confirmée par d'autres équipes et par d'autres méthodes, en particulier les mesures du rayonnement de fond cosmologique, c'est-à-dire de la lumière émise environ 380 000 ans après le Big-Bang, au moment où l'Univers est devenu transparent pour le rayonnement, indique qu'une mystérieuse forme d'énergie dite "noire" ou "sombre" contribue pour plus de 70% à la densité d'énergie de l'Univers. C'est cette énergie noire qui est responsable de l'expansion accélérée de l'Univers. 

Nous n'avons actuellement que des idées très spéculatives sur la nature de l'énergie noire. Pour avancer dans la compréhension et la caractériser, il faut réaliser des mesures plus précises en sondant l'Univers.  En gros, deux types de modèles s'affrontent: soit la densité d'énergie noire est uniforme et constante dans l'Univers, auquel cas cela plaide en faveur d'un terme supplémentaire dans les équations de la relativité générale, il s'agit d'une constante cosmologique telle que celle qu'Einstein avait introduit pour rendre l'Univers statique (ironie !). Soit la densité d'énergie noire  n'est pas constante, et on a affaire à un modèle de "quintessence" (le cinquième élément) nommé ainsi comme un clin d'œil aux quatre éléments des grecs: la terre, l'air, l'eau et le feu, devenus pour les cosmologistes la matière ordinaire, la matière noire froide, le rayonnement et les neutrinos. Le cinquième élément serait une sorte d'Éther emplissant tout l'espace.  Les deux possibilités ne sont pas faciles à distinguer, car il est possible que les variations de la densité d'énergie noire soient très subtiles.

Dans tous les cas, les physiciens sont face à un problème majeur, l'énergie noire est peut-être l'arbre qui cache la forêt et un pan entier de nouvelle physique est peut-être sur le point d'émerger. De la compréhension de ce problème résultera notre connaissance de l'avenir de l'Univers ; celui-ci se recontractera-t-il  pour  renaitre dans un nouveau Big-Bang, ou bien au contraire l'énergie noire deviendra-t-elle à ce point prépondérante que la matière elle-même se disloquera (Big-Rip) ? Il est en effet tout à fait possible que nous vivions actuellement dans une phase très particulière et éphémère de l'Univers. Alors profitons en avant de peut-être disparaitre à jamais !

2 commentaires:

  1. Pour les supernova de type 1A, très éloignées, tu mentionnes quelles sont très vieilles alors même qu'on observe leur naissance pour en retirer

    des données exploitables. Il serait peut-être bon de rappeler que la vitesse de la lumière est finie (300'000 km/s). De fait, la lumière met toujours un

    certains temps avant de nous arriver, et plus la source lumineuse est éloignée, plus la lumière reçue sur terre aura voyagé pendant longtemps. Il en

    découle la notion d'année lumière, correspondant à la distance parcourue par la lumière durant un an (soit à peu prés 9460 milliards de kilomètres). Un

    objet placé à une année-lumière de nous est donc vu en ce moment tel qu'il était il y a un an. Plus on regarde loin en distance, plus on regarde loin

    dans le passé. Un élément très éloigné, peut donc être vu tel qu'il était lors de la naissance de l'univers.


    Si j'ai bien compris l'expansion de l'univers découle de 3 axiomes:
    - La vitesse de la lumière est constante (et définie en mètres par seconde)
    - La notion de "mètre" est constante.
    - La notion de "seconde" est constante.

    De fait j'ai quelques questions:
    _ Sommes-nous certain que la vitesse de la lumière soit la même dans tout l'univers et à toute époque ?
    _ Le décalage vers le rouge ne peut-il pas être du au fait que la lumière "accélère" avec le temps ?
    --> Soit parce que l'univers est de plus en plus "vide" (Par exemple, avec une transformation de la matière en énergie noire).
    --> Soit parce que le mètre évolue avec le temps ?
    --> Soit parce que le temps évolue avec le temps ?
    _ C'est peut-être complètement tordu, mais est-il envisageable que la définition de la célérité (en mètre par seconde) puisse t'être une approximation, fonctionnant très bien á l'échelle humaine mais étant foireuse à l'échelle de quelques milliards d'années (un peu comme le modèle newtonien face au modèle quantique) ?
    _ Quand on parle de vitesse de la lumière, par rapport à quel référentiel s'agit-il ?
    _ Est-il possible de calculer notre vitesse par rapport à ce référentiel ?

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  2. Et bien voilà une note qui soulève plein de questions... :-)

    Tu as tout à fait raison de rappeler que la vitesse de la lumière étant finie, regarder loin, revient à observer le passé. Quand la lumière d'une lointaine galaxie nous parvient, elle correspond à la galaxie telle qu'elle était il y a des millions ou même des milliards d'années.

    La vitesse de la lumière est absolue, elle ne dépend pas du référentiel. C'est là dessus qu'est construit la théorie de la relativité. Cela revient à dire que pour le photon, le temps n'existe pas. Pour le photon, il est émis et absorbé en même temps ! C'est très difficile à se représenter, mais c'est vraiment là dessus que tout est construit.

    Beaucoup de physiciens ont essayé d'expliquer le décalage de la lumière par une propriété inconnue des photons. Einstein avait proposé l'idée de "lumière fatiguée" dans laquelle les photons perdent de l'énergie au cours de leur voyage mais cette théorie est incompatible avec l'observation du fond diffus cosmologique - voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Lumi%C3%A8re_fatigu%C3%A9e

    Le mètre est maintenant défini à partir de la vitesse de la lumière et la seconde est calculée à partir d'une propriété de l'atome de césium 133.

    On peut toujours imaginer que la vitesse de la lumière n'est pas la même en tout point de l'Univers, mais ça me semble assez peu naturel.

    Il est par contre possible que la théorie de la gravitation soit à revoir beaucoup plus en profondeur que le simple ajout d'une constante cosmologique.

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