Les aérogels sont des matériaux bien curieux ; il s'agit une sorte de gel, duquel on a extrait toute la matière liquide afin qu'il ne reste que le squelette solide emprisonnant un gaz (de l'air la plupart du temps). Les aérogels les plus communs sont fabriqués à base de silice et possèdent des propriétés étonnantes. Ils sont d'une extrême légèreté (3 mg / cm3 pour les plus légers) tout en étant très résistants ; un bloc supporte allègrement 1000 fois son propre poids. Ce sont d'excellents isolants thermiques, capables de bloquer la chaleur d'un chalumeau sur une épaisseur très faible. Étant essentiellement constitués d'air, leur indice de réfraction est très faible (proche de 1) ce qui fait que l'on distingue à peine leurs contours. La structure complexe de la silice diffuse fortement la lumière ce qui leur donne une teinte bleutée à peine perceptible. Un bloc d'aérogel de bas indice de réfraction a un aspect un peu fantomatique comme le montre l'image ci-dessous, provenant de la NASA.
En physique des particules il est important de pouvoir déterminer la nature des particules produites dans les collisions. Il y a pour cela plusieurs techniques. L'une d'entre elle repose sur l'utilisation de l'effet Cherenkov, c'est-à-dire la propriété qu'on les particules électriquement chargées d'émettre un rayonnement lumineux lorsqu'elles traversent un milieu à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière dans ce milieu (la vitesse de la lumière dans un milieu transparent est inférieure à la vitesse de la lumière dans le vide qui constitue une limite infranchissable, il n'y a donc pas de contradiction avec la Relativité). Les propriétés de la radiation Cherenkov dépendent de l'indice de réfraction du milieu et de la vitesse de la particule. En mesurant l'effet Cherenkov et en connaissant l'indice de réfraction du milieu, il est possible d'obtenir des indications sur la vitesse de la particule qui permettent de remonter à la masse de celle-ci et donc à sa nature.
L'aérogel, grâce à son indice de réfraction très faible, permet de réaliser des détecteurs à effet Cherenkov bien adaptés pour identifier les particules chargées (électrons, pions, kaons et protons) dans un domaine d'énergie intéressant. En 1996, dans l'expérience BaBar au Stanford Linear Accelerator Center (SLAC), j'ai eu l'occasion de travailler sur la mise au point d'un prototype de détecteur à effet Cherenkov (qui n'a finalement pas été retenu pour l'expérience). Pour ce détecteur, il nous fallait travailler avec des aérogels de très bas indices de réfraction (n = 1.008) qui avaient été fabriqués par le Jet Propulsion Laboratory (JPL) à Pasadena (Californie), seul capable à l'époque de produire ce type d'aérogel.
Le JPL est un laboratoire associé à la NASA et spécialiste de missions spatiales très pointues. Ce n'est que bien plus tard que j'ai compris pourquoi le JPL travaillait sur les aérogels de silice. En effet, en 1996 le JPL préparait la mission Stardust qui a été lancée en 1999 et dont le but était de récupérer des échantillons de poussières cométaires et interstellaires. La sonde Stardust devait passer dans la queue de la comète Wild 2 et tenter de capturer quelques poussières afin de les ramener sur Terre pour être analysées. Le problème était que la vitesse relative des particules cométaires par rapport à la sonde était de plus de 6 km/s. Capter des grains de poussières à cette vitesse sans les abimer était un défi à la mesure des propriétés remarquables des aérogels. En effet, le maillage de silice est tellement fin, tout en étant peu dense, qu'il agit comme une sorte de filet qui arrête les poussières de comète sur quelques centimètres. Les grains restent piégés dans l'aérogel qui a le bon goût d'être pratiquement transparent et donc de permettre un repérage visuel des impacts à l'aide d'un microscope.
La comète Wild 2 fut survolée en 2004. En 2006, la cassette contenant l'aérogel et son précieux chargement cosmique fut larguée et récupérée sur Terre. L'analyse des poussières se poursuit encore, j'aurai l'occasion d'y revenir dans un prochain article.
C'est ainsi que ce matériaux aux propriétés étonnantes fut au cœur d'expériences liées à la fois à l'infiniment petit et à l'infiniment grand.
On ne pourrait pas les utiliser pour isoler nos maisons, véhicules et nos vêtements ?
RépondreSupprimer@Gaël: La NASA a utilisé (utilise peut-être encore) de l'aérogel pour isoler les combinaisons spatiales des astronautes et des sondes martiennes.
RépondreSupprimerApparemment il y aurait aussi des produits commerciaux dérivés: http://www.aerogel.com/products/pdf/Spaceloft_DS_FRENCH.pdf
Le problème est le coût, si je me souviens bien, du temps de BaBar c'était plusieurs dollars par cm3 !