L'antimatière est le sujet de bien des fantasmes, l'imagination populaire en a fait un élément possédant une sorte de puissance absolue capable par un mystérieux mécanisme de tout anéantir. L'antimatière a été mise en scène dans de nombreux livres et films de science fiction dont l'un des plus récents a été Anges et Démons de Dan Brown qui met en scène un vol d'antimatière au CERN à des fins terroristes.
Sur le plan scientifique la notion d'antimatière a été évoquée dès les années 1880, mais elle ne s'est finalement imposée que lorsque Paul Dirac réalisa que les solutions d'énergies négatives qui apparaissaient dans l'équation qu'il venait d'établir pour décrire le comportement des électrons pouvaient être interprétées comme des anti-électrons ou positons qui furent finalement découverts expérimentalement par Carl D. Anderson en 1932 en étudiant le rayonnement cosmique.
Sans invoquer les mathématiques, on pourrait définir une antiparticule comme un objet qui a la capacité de s'annihiler totalement avec sa particule partenaire. Particules et antiparticules sont quasiment similaires (même masse par exemple), avec certaines caractéristiques qui sont inversées (la charge électrique par exemple)
L'antimatière est relativement simple à fabriquer. Les accélérateurs de particules en produisent journellement. Il "suffit" de bombarder une cible avec un faisceau de particules pour récupérer à peu près autant de particules que d'antiparticules. Il est possible d'isoler les particules d'antimatière, de les stocker et même d'en faire de nouveaux faisceaux de particules. Au LEP (CERN) par exemple, des faisceaux d'électrons (matière) et de positons (antimatière) étaient amenés en collision afin de provoquer une annihilation d’où rejaillissait de nouvelles particules de matière et d'antimatière. Au LHC (CERN) ce sont des faisceaux de protons, donc de matière qui rentrent en collisions, mais là encore de très nombreuses particules d'antimatière émergent.
Certains éléments radioactifs produisent des antiparticules, le Fluor 18 par exemple se désintègre en émettant un positon, c'est ce type d'isotope qui est utilisé en imagerie médicale pour les tomographies à émission de positon (TEP ou PET). On injecte du Fluor 18 au patient, celui se fixe sur les organes puis se désintègre en émettant un positon qui s'annihile quasiment instantanément avec un électron provenant des tissus biologiques. Cette annihilation produit deux photons qui sont détectés par un système approprié. On arrive ainsi à obtenir une image détaillée des organes et à mettre en évidence des tumeurs.
On peut conserver l'antimatière lorsqu'elle est électriquement chargée (par exemple des positons) pendant des heures, voire même des jours dès lors qu'on est capable de l'isoler de tout contact avec de la matière. On utilise pour cela des champs magnétiques et un vide très poussé. L'antimatière est en quelque sorte maintenue en sustentation loin des parois du récipient.
À partir d'antiprotons et de positons, le CERN a réussi en 1995 à fabriquer des atomes d'anti-hydrogène. Ceux-ci étant électriquement neutres, il n'est pas possible de les confiner avec des champs magnétiques, ils sont donc très difficile à conserver. Il faut pour cela arriver à les refroidir considérablement afin de les figer.
On ne parle ici que de quantité infime d'antimatière, tout au plus quelques centaines de milliards de particules dans les faisceaux des accélérateurs. On est bien loin du demi-gramme d'antimatière évoqué dans Anges et Démons. Il faudrait faire fonctionner les accélérateurs du CERN pendant des millions d'années pour en produire une telle quantité.
Du point de vue de la recherche fondamentale, l'étude de l'équivalence de la matière et de l'antimatière est très importante, en particulier la masse d'une antiparticule doit être exactement égale à celle de sa particule partenaire. Si tel n'était pas le cas, cela mettrait à mal des théories maintenant bien établies et nécessiterait de revoir la physique en profondeur .
Au niveau cosmologique l'antimatière reste une énigme. On suppose que lors du Big Bang, autant de matière que d'antimatière a été produit, or nous vivons actuellement dans un monde de matière, il n'y a nulle trace d'antimatière dans l'Univers autres que les antiparticules produites lors d'évènements bien postérieurs au Big Bang. L'antimatière primordiale semble donc avoir disparu de l'Univers sans que l'on soit capable d'expliquer le mécanisme mis en jeu. Si l'antimatière avait perdurée, celle-ci se serait annihilée avec la matière, protons et neutrons n'auraient pu être produits et les éléments chimiques n'auraient finalement pas pu être synthétisés. Le mécanisme de création des protons et des neutrons que l'on nomme Baryogénèse nécessite donc, entre autre, un phénomène qui casse la symétrie entre matière et antimatière en donnant la préférence à la matière. Ce phénomène est connu en physique sous le nom de violation de la symétrie CP. Pour expliquer la disparition de l'antimatière, il "suffit" que la nature favorise la matière dans un cas sur 100 milliards !
En 1964 James Cronin, Val Fitch et leur étudiant René Turlay ont mis en évidence une très faible asymétrie entre matière et antimatière pour des particules nommées K0 et anti-K0. Dans les années 2000 les expériences BaBar (États-Unis) et Belle (Japon) ont mesurée une asymétrie du même type pour des particules composées de quarks b (les mésons beaux). Le mécanisme est correctement compris et décrit dans le cadre du modèle standard de la physique des particules mais est malheureusement bien trop faible pour expliquer à lui seul la disparition de l'antimatière dans l'Univers. A ce jour seul, un résultat récent et inattendu de l'expérience D0 au Fermilab semble indiquer une situation dans laquelle l'asymétrie matière-antimatière serait suffisante. La signification statistique du résultat n'est toutefois pas assez grande pour permettre d'annoncer une découverte et il faudra encore attendre pour avoir la confirmation ou non du phénomène.
Voir également l'article de Richard Taillet sur Futura-Sciences.
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