dimanche 28 avril 2013

Des matériaux inattendus pour les détecteurs de particules

Lorsqu'ils conçoivent un appareillage les physiciens rêvent souvent d'objets impossibles à réaliser. Idéalement le détecteur de particules parfait devrait être composé uniquement de matériaux actifs et n'avoir besoin d'aucune structure mécanique pour le soutenir ! Lors des premiers "brain storming" qui ont lieu lors de la formation des  nouvelles collaborations, on voit souvent fleurir tout un ensemble de concepts tout aussi magnifiques qu'irréalistes sur le plan technique ou financier.
Les ingénieurs chargés de la réalisation effective des appareillages remettent alors un certain nombre de pendules à l'heure et proposent des alternatives techniquement réalisables ou financièrement accessibles. Il faut alors faire des compromis en acceptant de dégrader un peu les performances. Tout un jeu de réflexions, discussions, voire de négociations s'engagent alors, pour finalement converger vers un design raisonnable. Parfois, l'impossible devient réalité au prix d'astuces improbables et de matériaux inattendus.

Le premier exemple concerne les expériences enterrées profondément dans des mines ou autres tunnels de montagne. Ces emplacements sont recherchés afin de protéger les équipements du rayonnement cosmique qui perturberait les expériences. La traque de la matière noire se fait ainsi, outre le fait d'être situés sous terre, les détecteurs sont placés dans des blindages ayant pour but de stopper les effets de la radioactivité naturelle, source de photons, de neutrons et autres particules pouvant mimer les effets des très rares interactions de particules de matière noire. 
Lingots de plomb archéologique retrouvés dans
une épave au large de Plomanac'h
Parmi les différents blindages, le Plomb est particulièrement efficace pour bloquer la radioactivité ambiante. Le problème est que le minerai de plomb contient également  un peu d'uranium 238 dont la demi-vie est de 4.5 milliards d'années et qui se transmute en plomb 210 radioactif ayant une demi-vie de 22.3 ans. Ce plomb 210 va petit à petit se transformer en plomb 206 stable mais il faudra des dizaines d'années pour éliminer l'essentiel de la radioactivité. Que faire alors ? Est-ce à dire qu'il faut renoncer à utiliser du plomb pour blinder les détecteurs ? La réponse est bien sûr négative. L'astuce consistera pour les physiciens de l'expérience Edelweiss (Laboratoire Souterrain de Modane) à collaborer avec des collègues archéologues afin de se procurer du Plomb récupéré dans  une épave ayant coulé au IVème siècle après JC au large de Ploumanac'h (Côtes d'Armor). En effet, ayant été extrait il y a plusieurs siècles, l'isotope 210 du plomb a eu suffisamment de temps pour se désintégrer quasi totalement et le Plomb, dit "archéologique" est alors suffisamment inerte pour être utilisé comme blindage contre la radioactivité.

Un autre exemple a pour cadre l'expérience CMS installée sur l'accélérateur LHC du CERN. Celle-ci, pour la réalisation d'une partie de son calorimètre hadronique, avait besoin de plaque de laiton (alliage de cuivre et de zinc) ayant des caractéristiques de rigidité mécanique tout à fait particulières et incompatibles avec la production industrielle standard. Une production spéciale aurait certainement été possible mais aurait été d'un coût prohibitif. 
Source : http://cms.web.cern.ch/news/using-russian-navy-shells
L'un des collaborateurs russes eu alors l'idée de récupérer le laiton de douilles d'obus datant de la seconde guerre mondiale. Ces étuis avaient en effet des caractéristiques mécaniques particulières afin de supporter le stress inhérent à la propulsion de l'obus ainsi que le stockage prolongé dans un milieu marin. Plus d'un million d'obus furent inactivés puis fondus afin de récupérer le laiton, Du cuivre d'excellente qualité fut également fourni par les États-Unis pour compléter les matières premières nécessaires à la réalisation du détecteur.

Pour finir, je ne connais plus les caractéristiques exactes du détecteur, mais du voile de mariée fut utilisé dans la réalisation des cuves de scintillateur liquide du détecteur installé dans les années 80-90 sous la centrale nucléaire du Bugey afin de rechercher le phénomène d'oscillation des neutrinos. Le voile permettait d'améliorer considérablement les performances optiques de l'appareillage en évitant un contact direct entre une couche de matériau transparent et le Mylar aluminisé faisant office de réflecteur. Toute une étude fut donc entreprise afin de sélectionner la qualité idéale de voile de mariée !

2 commentaires:

  1. Salut!

    Les italiens eux aussi ont trouvé une épave remplie de lingots de plomb vieille de 2000 ans (au large de la Sardaigne) et l'utilisent au Gran Sasso, notamment sur la manip CUORE (recherche de décroissance double-béta).
    Il faut aussi préciser que ce plomb archéo n'est pas utilisé tel quel, mais il subit une phase de purification et est refondu pour en faire des briques de dimension idoine.
    Sur le cryostat d'EDELWEISS au LSM, il est utilisé en sandwich devant une autre de couche de plomb plus ordinaire (et plus épaisse). Il permet ainsi d'absorber les gammas et les X produits par la radioactivité du Pb ordinaire (Pb-210, Bi-210 puis Po-210) situé derrière.
    Pour la petite histoire, les physiciens italiens de l'INFN ont bien sûr analysé la composition isotopique de leur Pb archéo pour s'assurer de l'absence de contamination et ont ainsi pu fournir des données précieuses aux archéologues sur la provenance de la matière première...
    Des matériaux cruciaux qui font pâlir d'envie les américains qui n'ont pas d'épaves aussi anciennes!


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    1. Bonjour Éric,

      Merci pour ces intéressantes précisions. Apparemment le commerce du plomb était quelque chose d'important à cette époque. Tant mieux pour les scientifiques d'aujourd'hui ;-)

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