Les ingénieurs
chargés de la réalisation effective des appareillages remettent alors un
certain nombre de pendules à l'heure et proposent des alternatives
techniquement réalisables ou financièrement accessibles. Il faut alors faire
des compromis en acceptant de dégrader un peu les performances. Tout un jeu de
réflexions, discussions, voire de négociations s'engagent alors, pour
finalement converger vers un design raisonnable. Parfois, l'impossible devient
réalité au prix d'astuces improbables et de matériaux inattendus.
Le premier exemple
concerne les expériences enterrées profondément dans des mines ou autres
tunnels de montagne. Ces emplacements sont recherchés afin de protéger les
équipements du rayonnement cosmique qui perturberait les expériences. La traque
de la matière noire se fait ainsi, outre le fait d'être situés sous terre, les
détecteurs sont placés dans des blindages ayant pour but de stopper les effets
de la radioactivité naturelle, source de photons, de neutrons et autres
particules pouvant mimer les effets des très rares interactions de particules
de matière noire.
![]() |
Lingots de plomb archéologique retrouvés dans une épave au large de Plomanac'h |
Parmi les différents blindages, le Plomb est particulièrement
efficace pour bloquer la radioactivité ambiante. Le problème est que le minerai
de plomb contient également un peu
d'uranium 238 dont la demi-vie est de 4.5 milliards d'années et qui se
transmute en plomb 210 radioactif ayant une demi-vie de 22.3 ans. Ce plomb 210
va petit à petit se transformer en plomb 206 stable mais il faudra des dizaines
d'années pour éliminer l'essentiel de la radioactivité. Que faire alors ?
Est-ce à dire qu'il faut renoncer à utiliser du plomb pour blinder les
détecteurs ? La réponse est bien sûr négative. L'astuce consistera pour les physiciens de l'expérience Edelweiss (Laboratoire Souterrain de Modane) à collaborer avec des
collègues archéologues afin de se procurer du Plomb récupéré dans une épave ayant coulé au IVème siècle après
JC au large de Ploumanac'h (Côtes d'Armor). En effet, ayant été extrait il y a
plusieurs siècles, l'isotope 210 du plomb a eu suffisamment de temps pour se
désintégrer quasi totalement et le Plomb, dit "archéologique" est
alors suffisamment inerte pour être utilisé comme blindage contre la
radioactivité.
Un autre exemple a
pour cadre l'expérience CMS installée sur l'accélérateur LHC du CERN. Celle-ci,
pour la réalisation d'une partie de son calorimètre hadronique, avait besoin de
plaque de laiton (alliage de cuivre et de zinc) ayant des caractéristiques de
rigidité mécanique tout à fait particulières et incompatibles avec la
production industrielle standard. Une production spéciale aurait certainement
été possible mais aurait été d'un coût prohibitif.
![]() |
Source : http://cms.web.cern.ch/news/using-russian-navy-shells |
L'un des collaborateurs
russes eu alors l'idée de récupérer le laiton de douilles d'obus datant de la
seconde guerre mondiale. Ces étuis avaient en effet des caractéristiques
mécaniques particulières afin de supporter le stress inhérent à la propulsion
de l'obus ainsi que le stockage prolongé dans un milieu marin. Plus d'un
million d'obus furent inactivés puis fondus afin de récupérer le laiton, Du
cuivre d'excellente qualité fut également fourni par les États-Unis pour
compléter les matières premières nécessaires à la réalisation du détecteur.
Pour finir, je ne
connais plus les caractéristiques exactes du détecteur, mais du voile de mariée
fut utilisé dans la réalisation des cuves de scintillateur liquide du détecteur
installé dans les années 80-90 sous la centrale nucléaire du Bugey afin de rechercher
le phénomène d'oscillation des neutrinos. Le voile permettait d'améliorer
considérablement les performances optiques de l'appareillage en évitant un
contact direct entre une couche de matériau transparent et le Mylar aluminisé
faisant office de réflecteur. Toute une étude fut donc entreprise afin de
sélectionner la qualité idéale de voile de mariée !