Bien qu'attendue
depuis longtemps, la découverte récente d'une nouvelle particule
"compatible" avec le boson Higgs est une avancée majeure pour la
physique des particules, qui apporte sont lot de réponses mais aussi
d'interrogations sur la description théorique des phénomènes mis en jeu.
Les deux expériences
ATLAS et CMS ont fait preuve de prudence en n'annonçant pas la découverte du boson du
Higgs, mais d'une particule ayant une masse proche de 125 GeV et
compatible avec un boson de Higgs. Chaque mot est ici pesé de façon à préserver
toute la rigueur scientifique sans céder à la tentation d'aller trop vite dans
l'interprétation des résultats.
Candidat Higgs se désintégrant en 4 électrons, enregistré par l'expérience ATLAS en 2012 |
Depuis la découverte
annoncée à l'occasion de la conférence ICHEP 2012 à Melbourne, l'accélérateur LHC a
parfaitement fonctionné et a permis aux expériences de presque tripler le
nombre de collisions enregistrées. Cette augmentation de la statistique
accumulée est très importante afin de
préciser les caractéristiques de la particule observée, donc de vérifier s'il
s'agit bien d'un boson de Higgs et si oui, de préciser s'il est standard ou non. En effet, le mécanisme
de Higgs est assez général, et des extensions
du modèle standard de la physique des particules prévoient l'existence
d'autres bosons de Higgs. C'est le cas notamment des théories Super-Symétriques
(connues aussi sous l'acronyme SUSY) qui prédisent l'existence de tout un
ensemble de nouvelles particules, dont l'une d'entre-elles, massive, stable et
n'interagissant quasiment pas avec la matière ordinaire, pourrait constituer la matière noire de l'univers.
La plus évidente des
caractéristiques, puisque c'est celle qui permet de mettre en évidence son
existence, est sa masse. Pour des raisons de cohérence du modèle théorique, la
masse ne peut être ni trop petite, ni trop grande. La masse mesurée proche de 125
GeV est un peu faible et cela a des conséquences sur lesquelles je reviendrai
dans la suite.
Une autre
caractéristique essentielle du Higgs
standard est d'être un boson scalaire, ces deux termes font référence à
des propriétés quantiques de la particule; le spin et de la
parité. Le spin est une quantité physique (moment angulaire intrinsèque) qui
n'a pas de contrepartie en physique classique, il a une valeur entière pour les
particules dites bosons et demi-entière pour les fermions. Fermions et bosons
ont des comportements physiques très différents, par exemple, les particules
élémentaires constituant la matière
ordinaire sont des fermion de spin 1/2. Les particules médiatrices des forces
fondamentales : électromagnétique (photon), faible (W et Z) et forte (gluons), sont des bosons de spin 1.
Le boson de Higgs doit donc avoir un spin entier (c'est un boson) et nul (il
est scalaire).
Pour identifier le
spin d'une particule, il faut observer ses différents modes de
désintégrations et mener des analyses statistiques sur la topologie des
interactions enregistrées (ce qui revient à mesurer certains angles dans des
référentiels bien choisis). Le mode de désintégration de la nouvelle particule
en deux photons a été clairement identifié, ceci montre qu'il s'agit bien d'un
boson de spin 0 ou 2 (le spin 1 étant exclu en raison de l'absence de masse du
photon). Les analyses angulaires menées par les deux expériences ATLAS et CMS
excluent l'hypothèse "spin 2" avec un niveau de confiance de plus de
90%.
La parité est une
opération de symétrie qui inverse les coordonnées spatiales (symétrie miroir). Dans le cadre de la
mécanique quantique, les particules élémentaires possèdent une parité
intrinsèque qui peut être soit positive, soit négative. Le boson de Higgs
standard est un scalaire, il doit donc avoir une parité positive (une particule de spin 0 et de parité
négative est qualifiée de pseudo-scalaire). Là encore, des mesures sur la
topologie des interactions compatibles avec la présence de la nouvelle
particule, montrent que la parité positive est favorisée par rapport à la
parité négative.
Les mesures de spin
et de parité montrées par ATLAS et CMS à l'occasion du conseil du CERN du 12
décembre 2012 ne permettent pas encore de trancher avec certitude, mais montrent
tout de même de sérieuses indications en faveur d'un spin 0 et d'une parité positive).
En résumé, aujourd'hui, avec la statistique analysée, nous sommes en présence d'un nouveau boson
scalaire de masse proche de 125 GeV et dont les modes de désintégrations
correspondent à ceux d'un Higgs standard. Certaines petites déviations existent
(on parle de "tensions" dans le jargon des physiciens des particules), mais ne sont pas significative sur le plan
statistique. Il s'agit essentiellement de la masse du boson mesurée par ATLAS
qui est différente dans le canal de désintégration en deux photons (126.6 GeV)
par rapport au canal en 4 leptons (123.5 GeV) et du taux de désintégration du
Higgs en deux photons qui est un peu élevé pour les deux expériences. Donc pour
le moment la nouvelle particule découverte ressemble vraiment beaucoup à un
Higgs parfaitement standard.
Bien qu'elle semble
être une confirmation éclatante de la justesse des prédictions des théoriciens qui ont postulé le mécanisme de
Higgs, cette situation est un peu
surprenante et quelque peu frustrante. En effet, pour l'instant pas de signe de
SuperSymétrie, pas de traces de nouvelle physique ; rien qui puisse orienter
les théoriciens vers une extension du modèle standard de la physique des
particules. Par ailleurs, les résultats récents del'expérience LHCb qui a mis en évidence pour la première fois la désintégration
rare du Bs (particule formée d'un quark b et d'un quark s) en deux muons,
portent aussi un coup aux espoirs de détecter quelque chose de nouveau. Ce mode
de désintégration très rare (environ 3 désintégrations sur un milliard) est sensible à des processus quantiques
virtuels (c’est-à-dire des processus intermédiaires au cours desquels des
particules lourdes peuvent se manifester pendant un temps extrêmement court et influer sur les taux de désintégration)
pouvant mettre en jeu des particules exotiques comme des bosons de Higgs
supplémentaires. Or, aux incertitudes de mesure près, le taux de désintégration
mesuré est parfaitement compatible avec les prédictions théoriques standards.
Est-ce à dire que la
messe est dite ? Que le modèle standard de la physique des particules est
inébranlable ? … pas vraiment, car il faut encore raffiner les mesures, il est
possible que la nouvelle physique se cache dans des détails encore
imperceptibles actuellement et qui se révèleront lorsque beaucoup plus de
collisions auront été enregistrées, ou lorsque le LHC fonctionnera à une
énergie plus élevée (13 ou 14 TeV au lieu de 8 actuellement).
Un point reste très
troublant ; en effet, le Higgs possède
la capacité de se coupler à lui-même (autocouplage), or la faible masse du
Higgs (~125 GeV) comparée à la masse du quark top (~173.5 GeV) conduit à
calculer un couplage du Higgs avec lui-même qui devient négatif à haute
énergie, la conséquence de ceci est que le vide devient instable à partir d'unecertaine énergie ! Le fait que nous vivions dans un univers dans lequel le vide
est visiblement stable, conduit à penser qu'il existe un mécanisme de
compensation non encore mis en évidence. Dans l'hypothèse peu probable où ce
mécanisme de compensation n'existerait pas, il serait possible que le vide soit
actuellement dans un état métastable, un peu comme un récipient d'eau refroidi
en dessous de zéro degrés Celsius tout en restant liquide. Comme dans le cas de
l'eau qui glace instantanément à la moindre perturbation, on pourrait alors
imaginer qu'un évènement fasse basculer le vide dans un état de plus grande stabilité.
La perturbation se propagerait alors dans tout l'univers à la vitesse de la
lumière, balayant tout sur son passage dans une gigantesque débauche d'énergie.
Une fois redevenu stable, l'univers fonctionnerait alors avec des lois
physiques différentes et sans doute assez peu compatibles avec la vie telle que
nous la connaissons.
Figure montrant la zone très particulière dans laquelle se situe le boson de Higgs si on suppose que la modèle standard de la physique des particules est valide jusqu'à l'échelle de Planck |
En conclusion, si la particule observée est bien un Higgs standard, la valeur de sa masse est vraiment très particulière, tellement particulière que cela cache certainement un mécanisme subtil non encore compris.
De nouveaux
résultats sur le Higgs seront présentés le 6 mars prochain lors de la
conférence de Moriond, ceux-ci seront diffusées en direct sur le Web à cette adresse.
Bonjour.
RépondreSupprimerArticle intéressant, mais cette histoire de vide métastable est assez troublante, à tel point que je n'ose plus éternuer de peur de déclencher un cataclysme cosmique. :D
Plus sérieusement, j'ai du mal à imaginer ce que pourrait être le type de perturbation qui pourrait faire basculer le vide dans un état de grande stabilité. L'image de l'état métastable de l'eau liquide en dessous de 0°C est certes très parlante, mais ce n'est qu'une image. Pour le vide, est-il possible de décrire de façon pas trop compliquée comment se traduirait physiquement son basculement dans un état plus stable ?
Sinon, au sujet de la matière noire qui pourrait être constituée de particules prévues par les théories Super-Symétriques, je viens d'acheter le dernier numéro de Ciel & Espace avec en couverture une citation du mathématicien Cédric Villani, genre pavé dans la mare: "La matière et l'énergie noires, je n'y crois pas!". Je n'ai pas encore lu l'article, mais j'aimerais assez avoir l'avis du physicien sur la question.
Bonjour Richard,
SupprimerLes deux minima d'énergie sont séparés par une barrière de potentiel, la mécanique quantique nous dit que la transition de l'un vers l'autre peut se faire spontanément par effet tunnel. Le changement se propagerait alors de proche en proche à la vitesse de la lumière. Il parait que les théoriciens travaillent dur pour calculer la durée de vie du vide actuel. Aux dernières nouvelles, ils auraient trouvé 10^100 ans, on a donc un peu de temps devant nous.
Quant à Cédric Villani, je te conseille la lecture de cet article : http://drericsimon.blogspot.fr/2013/02/cedric-villani-matiere-noire-ou-matiere.html , il traduit assez bien ce que je pense.
Dominique
Bonjour Dominique.
SupprimerMerci pour cette réponse qui m'éclaire un peu sur le comportement du vide, même si ça reste assez mystérieux pour un profane. Et sa durée de vie me rassure: je vais pouvoir profiter de ma prochaine retraite... pour peu que le fisc ne bascule pas dans un état hyper-stable de réduction massive des pensions. :D
Concernant la position de Cedric Villani sur la matière et l'énergie noires, j'ai lu l'article de Ciel & Espace et celui du Dr Eric Simon. Il est vrai que les jugements de Cédric Villani paraissent un peu portés à l'emporte-pièce, et je comprends très bien la position du Dr. Simon. Mais pour le profane que je suis, la matière noire et l'énergie sombre rappellent furieusement les "roues de secours" théoriques telles que les épicycles des anciens grecs ou le fameux éther dans lequel était censée se propager la lumière.
Je suis d'accord avec le Dr. Simon quand il affirme que les concepts de matière noire et d'énergie sombres ne sont pas sortis d'un chapeau, et que ce ne sont que les hypothèses estimées les plus probables et dignes d'être admises tant qu'elles ne sont pas invalidées. Mais il faut aussi reconnaître que ces hypothèses apparaissent souvent posées en dogmes dans beaucoup d'articles de vulgarisation. En particulier, j'ai souvent remarqué le ton condescendant adopté par certains scientifiques lorsqu'on évoquait devant eux des théories alternatives se passant de matière noire et d'énergie sombre.
Personnellement, une théorie alternative de la gravitation comme MOND me séduit davantage que ces mystérieux concepts d'une matière invisible quasi-indétectable et d'une énergie sombre tout aussi mystérieuse. Simple question de feeling qui n'a rien à voir avec la démarche scientifique, mais je trouve cette hypothèse tout aussi digne d'intérêt que celle de la matière noire, tout au moins jusqu'à ce qu'on démontre formellement que cette approche n'est pas viable ou qu'elle soit mise en échec par l'observation.
Le problème est que certains scientifiques manquent cruellement d'ouverture d'esprit, et ceci n'est pas propre à la cosmologie ou à la physique. Une petite anecdote du temps où j'étais jeune ingénieur pour illustrer ce fait: dans mon propre domaine, l'aérodynamique, j'ai eu affaire à un scientifique brillant... mais particulièrement obtus car il refusait d'admettre toute autre approche que la sienne. Lors d'une conférence, il avait démoli la théorie que nous utilisions à l'époque, et j'ai eu l'heureux privilège de devoir plonger les mains dans le cambouis des deux théories... pour m'apercevoir qu'elles disaient exactement la même chose selon des points de vue différents. Avec mon patron, nous sommes allés voir le scientifique en question avec des arguments solides prouvant la validité des deux approches, mais il a refusé de les admettre. Consternant!
Mais heureusement, mes lectures m'ont montré qu'il existe dans le monde bon nombre de scientifiques à l'esprit assez ouvert pour ne pas rejeter d'emblée toute nouvelle théorie qui bouscule un peu les anciennes, et ceci est plutôt rassurant pour l'avenir.
Richard
Bonjour Richard,
RépondreSupprimerCe qui me gêne dans la prise de position de Cédric Villani, c'est justement le côté à l'emporte pièce de la part de quelqu'un qui n'est pas du tout spécialiste du domaine. Je pense qu'un scientifique n'a pas à croire ou ne pas croire, il doit s'appuyer sur des arguments scientifiques et des mesures pour étayer ou au contraire contredire une théorie.
Il est vrai que ces concepts de matière noire et d'énergie noire font un peu penser au épicycles des anciens mais pour l'instant c'est encore ce qui correspond le mieux à ce qu'on observe. De plus ces termes de "machins noirs" recouvrent tout un ensemble de possibilités. Par exemple, la matière noire pourrait être constituée par différents types de particules, le neutralino supersymétrique est une possibilité intéressante parmi d'autres... De même l'énergie noire peut être de plusieurs natures (constante cosmologique, quintessence, etc.) le problème est qu'il est difficile de trouver des observables permettant de discriminer les différents modèles.
MOND est une approche alternative intéressante et je ne pense pas que l'on puisse la rejeter a priori.
Je pense qu'il faut surtout se laisser du temps afin de recueillir de nouvelles mesures qui permettront de mieux comprendre les choses et il faut être prêt effectivement à remettre complètement en cause les théories quand c'est nécessaire.
Dominique
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerMerci Alvin pour la clarté de votre billet sur ce sujet qui me passionne. Je suis physicien de formation mais pas du tout spécialiste de physique des particules. Pourtant depuis ma prime jeunesse je suis avec beaucoup d'intérêt les développements d'un modèle théorique disons "de grande unification" voire presque "de gravité quantique", alternatif aux célèbres théories des (super)cordes. Je veux parler du modèle spectral noncommutatif (http://www.bourbaphy.fr/connes2.pdf) initié en particulier par le mathématicien Alain Connes. L'une des raisons qui rendent le formalisme noncommutatif intéressant est qu'il permet une modélisation mathématique de l'espace-temps dans lequel le boson de Higgs occupe une place très naturelle (avec en particulier des termes de couplage qui autorisent une compensation sans réglage fin artificiel des fluctuations quantiques qui contrôlent sa masse), place naturelle que je résumerais volontiers par une formule "percutante" (sûrement outrancièrement maladroite) le boson de Higgs à 125 GeV est un (le?) graviton noncommutatif à l'échelle électrofaible. Cette théorie a longtemps été vue comme relevant de la physique mathématique, on a même cru qu'elle était réfutée à cause d'une prédiction initialement erronée de la masse du Higgs. Mais maintenant que la phénoménologie du premier boson scalaire fondamental commence à se révéler à nous, il est frappant de voir que le modèle spectral a su prouver sa résilience (http://arxiv.org/abs/1208.1030). Un autre point important dans le contexte de votre billet et qui vaut d'être souligné pour vos lecteurs est que le modèle en question est très parcimonieux en nouvelles particules (aux échelles d'énergies actuellement accessibles) comme en hypothèses. Dit simplement : il n'a besoin (de prévoir) aucune nouvelle particule à l'échelle d'énergie sondée jusqu'à présent (et dans le futur) par le LHC, bref il peut se passer de la supersymétrie! Par ailleurs il offre semble-t-il une réponse à la stabilité du vide (http://arxiv.org/abs/1208.5023) et fait de nouvelles prévisions compatibles avec d'autres théories des champs effectives (http://arxiv.org/abs/1304.8050).
RépondreSupprimerJe ne connais pas encore très bien votre blog (j'ignore en particulier votre domaine de spécialité exact) mais je serais ravis de savoir si vous avez un avis sur ces questions.
Au plaisir de vous lire!
Bonjour,
SupprimerMerci pour votre très intéressant commentaire. Je ne connais pas le modèle développé pat Alain Connes, je ne peux donc pas avoir un avis pertinent mais je vais profiter des liens que vous donnez pour creuser le sujet.
Alvin
Good reeading your post
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