Vendredi 4 mai un
peu avant 13h30, pas mal de monde se groupait devant l'entrée de la 14ème
chambre correctionnelle du palais de justice de Paris pour écouter l'énoncé du
verdict du procès d'Adlène Hicheur. Beaucoup de journalistes étaient présents,
un peu moins de monde toutefois du côté des comités de soutien que lors des
audiences des 29 et 30 mars. On notait aussi la présence des "gars de
Tarnac" qui, quelques jours avant, avaient justement cosignés une tribune libre dans Le Monde intitulée
"Non au délit de pré-terrorisme".
L'énoncé du verdict
n'a duré que quelques minutes, la Présidente Rebeyrotte ne s'est pas donné la
peine de parler dans le micro et a très rapidement marmonné qu'Adlène Hicheur
était coupable du délit de "participation à une association de malfaiteurs
en vue de la préparation d'un acte de terrorisme" et qu'en conséquence il
était condamné à cinq ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, qu'il était
maintenu en détention et que l'ensemble des scellés seraient saisis
(comprendre: confiscation du matériel informatique et des 15 000 € d'argent
liquide trouvés au moment de l'arrestation). Après avoir expliqué en trente
seconde ce que signifiait l'année de sursis sur le plan pénal, la Présidente a
quitté très rapidement la salle d'audience. L'assistance s'est alors figée un
instant, attendant que quelque chose se passe... certains ont demandé à leur voisin de répéter ce que la Présidente
avait dit car ils n'avaient pas réussi à entendre son marmonage. L'un des
membres du comité de soutien viennois
s'est offusqué à haute voix de cette façon de faire, de cette manière de
balancer un verdict implacable qui va sceller l'avenir d'un homme, puis de
repartir en rasant les murs… Tout le monde était debout, sonné et incrédule.
L'avocat a dû courir
après la Présidente pour lui demander une autorisation pour qu'Adlène Hicheur
puisse embrasser son père et ses frères, ce qui fut fait avant que les
gendarmes ne reconduisent Adlène en cellule. Nous sommes restés de longues
minutes à attendre que quelque chose se passe, à espérer au fond de nous-même
que la Présidente revienne et dise que non, finalement il était acquitté…
mais non bien sûr... le jugement était là, implacable, irrévocable (sauf appel)
et incompréhensible.
Curieusement
l'énoncé de ce verdict tranchait singulièrement avec celui de l'affaire
précédente : 5 jeunes comparaissant pour une affaire de violence, le verdict
fut énoncé de manière forte et claire, le Président s'assurant que l'interprète
avait pu traduire et que les jeunes avaient bien compris. C'était un peu comme
si le verdict de l'affaire Hicheur était tellement honteux, qu'il fallait juste
le chuchoter et vite prendre la fuite...
Comme je l'ai dit
dans l'article concernant les audiences des 29 et 30 mars, je n'ai rien entendu
de convaincant dans l'énoncé des charges reprochées à Adlène Hicheur, en tout
cas rien de prouvé, pas même l'identité de son interlocuteur sur les forums. Moi
qui croyait que justement la justice ne s'appuyait que sur des faits, que le
travail des enquêteurs consistait à amener des preuves et que toutes les
assertions ne reposant pas sur des éléments établis étaient nulles et non
avenues et enfin que le doute devait bénéficier à l'accusé. Je pense que si je
n'avais pas assisté à ce procès, si je n'avais pas entendu de mes oreilles les
élucubrations scabreuses basées sur une
série d'hypothèses non vérifiées afin de tailler un costume de coupable à
Adlène Hicheur, j'aurais eu au fond de
moi un doute en me disant que la justice française ne pouvait pas condamner
sans preuve ou sans au minimum quelques éléments solides permettant de se
forger une intime conviction.
Aujourd'hui, je sais
qu'il est possible d'arrêter quelqu'un en France, de lui faire subir 96 heures
d'interrogatoire sans sommeil, alors que cette personne souffre physiquement et
que le médecin lui prescrit des médicaments de plus en plus forts pour le faire
tenir... Je sais aussi qu'il est possible de détenir quelqu'un pendant 30 mois
sans qu'aucun élément sérieux ne justifie cette détention. Enfin, je sais qu'il
est possible de construire un dossier uniquement à charge, de bourrer celui-ci
d'éléments non prouvés, d'erreurs grossières, d'hypothèses scabreuses et
finalement de faire condamner quelqu'un à des années de prisons.
Ce jugement je ne le
comprends pas, je le comprends encore moins quand je lis le paragraphe suivant
:
"Au cours des
débats d'audience, Adlène HICHEUR a employé plusieurs fois le terme
d'"humiliation" et l’on sent, à travers les messages de cet homme
intelligent et fier, la douleur d’appartenir à un peuple qui a effectivement
été colonisé pendant deux siècles par des représentants de son pays d’accueil
et d’adoption ainsi que la difficulté à surmonter cette antinomie. Le Tribunal
ne peut de même ignorer qu’Adlène Hicheur est né à Séfif, ville de triste
mémoire, ce qui n’a pu que renforcer son sentiment d’injustice, d’humiliation
devant le sort réservé à ses pères"
Cet argument qui
sort de nulle part est présenté comme un élément à décharge valant l'année de
sursis, alors qu'au contraire il accable
en tentant de donner une explication à un délit qui n'a jamais été démontré au cours
du procès. Les juges se donnent ainsi probablement bonne conscience… Grand bien
leur fasse !
Vous qui me lisez,
prenez garde à vos écrits, prenez garde à vos courriels, et finalement prenez
garde à vos pensées. Une justice d'exception a été instaurée en France et elle
a tout pouvoir.
Dominique Boutigny
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