mercredi 28 mars 2012

Peter Higgs … dans ATLAS et CMS … avec le détecteur de muons …

Dans cette note, je vais tenter d'expliquer simplement comment les physicien(ne)s procèdent concrètement pour mettre en évidence une nouvelle particule telle que le bosonde Higgs à partir de l'enregistrement de milliards de collisions enregistrées dans des détecteurs géants tels que ceux qui sont installés sur le collisionneur LHC au CERN. Nous allons voir que cette recherche s'apparente une enquête minutieuse, digne du Cluedo, dans laquelle la collecte d'indices conduira à débusquer le suspect, même si ce dernier est bien caché.


Le premier élément à prendre en compte est qu'on ne cherche pas au hasard. Une particule, même inconnue doit suivre des lois précises. Par exemple nous ne sommes pas  certains que le boson de Higgs existe, mais s'il existe et qu'il est standard, son taux de production et ses modes de désintégrations sont parfaitement calculable dans le cadre d'une théorie (lemodèle standard de la physique des particules dans ce cas), le seul paramètre libre étant sa masse.  De même, dans les extensions du modèle standard telles que la Supersymétrie par exemple, il existe également des bosons de Higgs dont des caractéristiques sont connues.

Les détecteurs de particules ne peuvent pas détecter directement un Higgs, celui-ci a une durée de vie bien trop brève pour laisser la moindre trace directe. Par contre le Higgs  peut être produit conjointement avec d'autres particules et surtout il va se désintégrer de diverses façons en donnant des particules suffisamment stables pour pouvoir interagir avec les détecteurs.

Les grands détecteurs tels que ATLAS et CMS sont constitués d'un assemblage de sous-détecteurs spécialisés. Par exemple, nous allons trouver des détecteurs de traces chargées capable d'enregistrer l'ionisation engendrée par le passage d'une particule dans un milieu détecteurs (gaz ou silicium suivant les cas). Ces sous-détecteurs sont généralement placés à proximité du point de collision des faisceaux. Si de plus on associe un champ magnétique aux détecteurs de traces, il va être possible de distinguer les particules chargées positivement des particules chargées négativement. Le champ magnétique va également permettre de mesurer le rayon de courbure des traces  et ainsi d'estimer l'impulsion des particules.

En allant de l'intérieur du détecteur vers l'extérieur, après le sous-détecteur de traces, on trouve normalement des calorimètres, c’est-à-dire des appareils capables d'arrêter les particules incidentes et de mesurer l'énergie qu'elles déposent. En jouant sur l'épaisseur et sur le matériau qui le compose, le calorimètre pourra soit stopper et mesurer  des particules électromagnétiques peu pénétrantes (photons et électrons) soit des hadrons beaucoup plus pénétrants (pions, kaons, protons, neutrons…). On trouve donc généralement deux calorimètres, le premier électromagnétique et le second hadronique. Ceux-ci sont en principe segmentés afin de fournir une information sur la position de la particule lors de son impact.

À la sortie du calorimètre hadronique toutes les particules ont été arrêtées sauf les muons qui sont encore plus pénétrants et qui peuvent survivre à la traversé de deux mètres de fer. Quelques plans de détecteurs de traces supplémentaires permettront de localiser le passage de ces muons et de mesurer leur impulsion.

Avec tous ces sous-détecteurs, identifier une particule revient à faire un petit jeu de déduction :
  • La particule laisse une trace dans le détecteur de traces central, elle est donc chargée. Sa charge positive ou négative, est donnée par le sens de sa courbure dans le champ magnétique.
  • Elle interagit peu dans le calorimètre électromagnétique et laisse un gros dépôt d'énergie dans le calorimètre hadronique, c'est donc un hadron chargé. 
  • Si par contre la particule ne laisse aucune trace dans le détecteur central, mais dépose beaucoup d'énergie dans le calorimètre électromagnétique, il s'agit très probablement d'un photon.
  • Si la particule est chargée (trace dans le détecteur central), qu'elle traverse les deux calorimètres en laissant peu d'énergie et qu'elle est détectée dans les détecteurs de traces externes, c'est qu'il s'agit d'un muon.
Et ainsi de suite…

Il est même possible de détecter l'indétectable neutrino en utilisant le fait que l'énergie doit être conservée ; si le bilan énergétique  des particules détectées laisse un déficit dans une région du détecteur, cela veut dire qu'une particule n'interagissant pas ou très peu avec la matière est passée par là. Il peut s'agir d'un neutrino ou bien d'une particule plus exotique non encore découverte, telle l'hypothétique neutralino, (particule supersymétrique pouvant expliquer la matière noire).

Les informations des détecteurs ne sont pas directement exploitables, il s'agit généralement de signaux électriques (Volts, Ampères ou Coulombs) provenant d'une multitude de canaux de lecture, qu'il convient d'enregistrer, de corriger en appliquant des paramètres d'étalonnage et finalement de convertir en grandeurs physiques (quadrivecteurs énergie-impulsion). Ce traitement se fait via de grands centres informatiques distribués au niveau mondial qui s'échangent les données via des réseaux à très haut débit (c'est le concept de grille de calcul). Les quantités de données à traiter sont énormes ; par exemple le LHC produit environ 15 Pétaoctets de données par an, soit 15 millions de Gigaoctets !

La réponse des détecteurs au passage d'une particule n'est pas uniforme. Afin de corriger les biais instrumentaux, on procède à une  modélisation très détaillée des détecteurs en utilisant des techniques de simulation dites de Monte-Carlo. Le moindre élément des appareillages (matériaux détecteurs, supports mécaniques, boulons, etc.) est modélisé. Ce travail très consommateur de temps de calcul est indispensable afin d'appliquer des corrections aux mesures et de remonter aux processus physiques initiaux de façon non biaisée.

Une fois les collisions reconstruites et converties en un ensemble de données compréhensibles par le physicien de base,  celui-ci procède à des analyses dans le but d'essayer de mettre en évidence tel ou tel phénomène. Pour cela on dispose donc des caractéristiques des particules reconstruites (type, énergie, direction de vol), on peut regarder en détail la zone d'interaction et mettre en évidence des désintégrations secondaires (appelées vertex) signes de l'existence éphémère de particules de courtes durées de vie. On peut aussi identifier des jets de particules, signatures de la matérialisation de quarks ou de gluons.  On regarde encore les flux d'énergie dans les différentes zones du détecteur afin de détecter d'éventuels déséquilibres et ainsi de traquer les particules n'interagissant pas ou peu avec la matière.

En résumé lorsque l'on recherche un phénomène, on essaye de mettre en évidence une topologie particulière. Par exemple, comme illustrée par l'image ci-dessous,l'une des signatures du Higgs est l'émission de quatre muons de grandes impulsions. On cherchera donc quatre traces dans les détecteurs externes.   Il s'agit là d'une signature particulièrement simple. Malheureusement la probabilité (on dit section efficace en physique des particules) est bien trop faible pour que le physicien s'en contente et il faut rechercher d'autres topologies plus complexes telles que le Higgs se désintégrant en deux photons ou encore en une paire de W, ceux-ci donnant deux leptons (électrons ou muons) et deux neutrinos indétectés.
Une collision proton-proton enregistrée dans le détecteur CMS au CERN et présentant toutes les caractéristiques de la désintégration d'un bosonsde Higgs mais pouvant tout aussi bien être due à du bruit de fond.  Source : CERN - CMS.
Chacun des signaux recherchés est dilué dans un bruit de fond plus ou moins important. Par exemple pour le Higgs en deux photons, il existe des quantités de phénomènes physiques qui engendrent des photons, la combinaison de tout ceux-ci va donc donner un bruit de fond combinatoire duquel aura bien du mal à émerger un signal.

Le travail du physicien analyste consiste dans un premier temps à trouver un ensemble de critères permettant de maximiser le signal recherché et de minimiser le bruit de fond. Ce travail d'optimisation se fait généralement en utilisant massivement des logiciels de simulation. Les collisions sont ensuite triées pour sélectionner celles qui ressemblent le plus à la topologie recherchée. À partir des collisions sélectionnées on tente alors de mettre en évidence le signal à l'aide de méthodes statistiques sophistiquées qui tirent parti de toutes les informations disponibles en combinant au besoin plusieurs modes de production ou de désintégration de la particule recherchée. C'est ainsi que l'on aboutit à des graphiques du genre de ceux qui ont été montrés par les collaborations ATLAS et CMS à la fin de l'année 2011 et qui semblent indiquer un excès de signal dans une région de masse de Higgs autour de 125 GeV.

La courbe en pointillée représente la mesure attendue avec une physique standard et en l'absence d'un signal de Higgs. Les bandes  verte et jaune indiquent les zones s'écartant de respectivement un et deux écarts standards de la prédiction et les points correspondent aux données. Toute la région se trouvant en dessous du trait horizontal pointillé, correspond à la zone de sensibilité à un éventuel signal de Higgs. L'excès observé par ATLAS et vu indépendamment par CMS est le petit intervalle dans la zone de sensibilité pour lequel les points de mesure sont au dessus de la bande jaune. Il est clair qu'avec de tels graphes statistiques, on perd aisément le sens physique de la mesure, mais c'est le prix à payer pour tirer le maximum d'information des données.
Résultat présenté par la collaboration ATLAS le 13/12/2011 au CERN et montrant une déviation non encore statistiquement significative dans la région de masse autour de 125 GeV

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