Georges Charpak est l'inventeur d'un système extrêmement astucieux permettant de détecter et de reconstruire le passage d'une particule chargée dans un milieu gazeux. Le détecteur dont la dénomination la plus simple est "chambre à fils" est une enceinte remplie de gaz et dans laquelle sont tendus des fils très fins et portés à une haute tension (1500 à 2500 Volts). Lorsqu'une particule possédant une charge électrique traverse le gaz, elle ionise celui-ci, c'est-à-dire qu'elle arrache des électrons aux atomes. Les électrons chargés négativement sont attirés par les fils portés à une tension positive, on dit qu'ils dérivent. En arrivant à proximité des fils les électrons vont ressentir un champ électrique intense qui va provoquer leur multiplication. Cette avalanche d'électron est captée par le fil sous la forme d'un courant électrique de faible intensité, mais parfaitement détectable par un système électronique adapté. En choisissant correctement le mélange de gaz, le diamètre des fils, la tension électrique et l'électronique, la chambre à fils est capable de donner des informations qui permettront de caractériser la particule incidente et surtout de reconstruire sa trajectoire.
Ce détecteur a littéralement révolutionné les techniques expérimentales en physique des particules. Avant son invention, on utilisait des chambres à bulles dans lesquelles on photographiait de minuscules bulles provoquées par le passage des particules dans un liquide maintenu dans un état métastable. On arrivait, au mieux, à prendre quelques photos par seconde et les traces de ses particules devaient être mesurées manuellement par une armée de techniciennes entrainées (les "scanneuses"). La chambre à fil permet de mesurer des flux de plusieurs milliers de particules par seconde et de reconstruire les traces informatiquement. Une partie des éléments constituant les grands détecteurs installés sur le LHC sont les successeurs directs des chambres de Charpak.
La photographie ci-contre montre la grande chambre à fils de l'expérience BaBar lors de sa construction. On distingue les milliers de fils fins comme des cheveux et recouverts d'une pellicule d'Or.
En dehors de la recherche fondamentale, la chambre à fils a de très nombreuses applications, notamment pour l'imagerie médicale, domaine dans lequel Georges Charpak s'est énormément investi à la fin de sa carrière.
Georges Charpak, en plus d'être un instrumentaliste génial, avait compris que la science devait être au service de la société au travers de l'éducation. De ses voyages aux USA et de son amitié avec le physicien Leon Lederman, il a rapporté en France une méthode d'apprentissage de la démarche scientifique basée sur l'expérimentation. "La main à la pâte" a été et reste un grand succès dans les écoles. Avec ses livres et ses prises de positions publiques, il a contribué à faire reculer le charlatanisme en montrant à quel point il est important de développer un esprit critique. Ne jamais se fier aux apparences, ne pas gober tout cru tout ce qui est présenté avec un vernis pseudo-scientifique, faire preuve de sens critique...
Moins connu est le fait que Georges Charpak a contribué à développer des échanges entre la Colombie et la France, nombre de jeunes ingénieurs colombiens sont venus passer une période en France dans les meilleurs laboratoires, quelques uns sont restés, d'autres sont repartis en Colombie et ont contribué au développement technique du pays. Son attache avec la Colombie était liée à sa fille Nathalie, pédiatre installée à Bogota qui a développé la technique dites du "Peau à Peau" qui permet de maintenir en vie un bébé prématuré en le plaçant tout contre sa mère (ou son père) dans les pays qui ne disposent pas de couveuses. Avec l'imagerie médicale et le peau à peau, nul doute que la famille Charpak a contribué à sauver bien des vies.
Contrairement à ce qui est écrit dans le livre de Dan Brown "Anges et Démon", Georges Chapak ne jouait pas au Frisbee sur les pelouses du CERN, mais il ya quelques années on croisait souvent sa chevelure toute blanche et ses yeux bien bleus à la cafétéria.
Ma fille rigolait en lisant que Georges Charpak avait dit que "la physique des hautes énergies devait beaucoup au scotch". J'atteste de la véracité de cette affirmation. Les rouleaux de gros scotch noir plastifié sont omniprésents dans les expériences. Ils servent aussi bien à rendre les détecteurs étanches à la lumière, qu'à fixer tous les éléments que l'on assemble dans la précipitation au milieu de la nuit quand le temps de faisceau est compté.
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